Marwan Bouras & Antoine Roquilly, pour le Comité Scientifique

Lancet Infect Dis 21, 1038–1048 (2021)

Contexte

Les cathéters veineux périphériques sont les dispositifs médicaux invasifs les plus couramment utilisés à l’hôpital ; environ 2 milliards sont vendus chaque année dans le monde. Les complications liées à leur utilisation sont fréquentes, entraînant la défaillance précoce du dispositif chez environ la moitié des patients avant la fin du traitement. Ces complications (occlusion, diffusion, phlébite, infections locales ou systémiques) peuvent conduire à l’interruption du traitement, augmentent la durée d’hospitalisation et engendrent des coûts supplémentaires [1]. La prévention de ces complications est donc essentielle et repose sur des règles d’hygiène et l’utilisation de cathéters biocompatibles.

Le choix de la solution antiseptique avant la mise en place du cathéter est importante pour diminuer le risque d’infections. Bien que l’utilisation de solutions alcoolisées soit recommandée par les sociétés scientifiques, la supériorité de la chlorhexidine alcoolique à 2 % sur la povidone iodée alcoolique  à 5 % n’a été démontrée que pour les cathéters veineux et artériels centraux chez des patients de réanimation [2]. Une seule étude randomisée de faible effectif a démontré la supériorité de la chlorhexidine alcoolique à 2% par rapport à l’alcool à 70 % pour la réduction de la colonisation des cathéters [3]. Aucune étude comparant l’efficacité de la chlorhexidine à la povidone iodée sur la prévention des infections de KT veineux périphériques n’a été publiée. La littérature était donc insuffisante pour définir le meilleur antiseptique lors de la pose de voies veineuses en dehors des services de réanimation.

D’autre part, des innovation techniques telles que les cathéters fermés, les connecteurs sans aiguille à pression positive, les bouchons désinfectants et les seringues de rinçage préremplies à usage unique permettent de maintenir la perméabilité des cathéters sur une plus longue période, mais peu de preuves scientifiques existent pour justifier leur utilisation en pratique clinique [4].

Dans l’etude de Guénezan et al., les auteurs ont émis l’hypothèse que (i) la chlorhexidine alcoolique est plus efficace que la povidone iodée alcoolique pour prévenir les complications infectieuses liées aux cathéters veineux périphériques, (ii) l’utilisation combinée de cathéters intégrés fermés, de connecteurs sans aiguille à pression positive, de bouchons désinfectants et de seringues de rinçage préremplies à usage unique (groupe innovation) allonge la durée de vie des cathéters veineux périphériques. L’objectif de cet essai randomisé contrôlé était de comparer l’efficacité sur la survenue de complications infectieuses et de difficulté /échec d’insertion du cathéter de 4 protocoles de mise en place de cathéters veineux périphériques différents selon la solution antiseptique (Chlorhexidine alcoolique 2% versus povidone iodine alcoolique 5%) et le dispositif utilisé (dispositif innovant versus standard).

 

Méthodologie

Il s’agit d’une étude de supériorité, ouverte, monocentrique (CHU de Poitiers), randomisée, factorielle deux par deux. Les patients adultes (âgés de ≥18 ans) admis dans le service des urgences et nécessitant la pose d’un cathéter veineux périphérique pendant 48 h ou plus étaient inclus avant leur admission dans les services médicaux. Les critères d’exclusion étaient une intolérance connue, une hypersensibilité ou une contre-indication à la chlorhexidine, à la povidone iodée, à l’isopropanol ou à l’éthanol, la suspicion de bactériémie, la présence d’un cathéter intravasculaire en place au cours des 2 derniers jours, ou au cours des 2 dernières semaines et avec des signes locaux de complication du cathéter, la suspicion d’insertion difficile du cathéter, une chirurgie nécessaire.

 

Interventions testées

L’asepsie des soignants avant pose des cathéters étaient protocolisée. Les solutions utilisées étaient soit de la chlorhexidine à 2% et de l’alcool isopropylique à 70% (ChloraPrep, Becton Dickinson, Le Pont de Claix, France), soit de la povidone iodée à 5% et de l’éthanol à 69% (Bétadine alcoolique, Mylan Medical SAS, Mérignac, France). Les cathéters veineux périphériques étaient le cathéter Nexiva à port unique (Becton Dickinson) et les médicaments étaient administrés par l’intermédiaire d’un raccord sans aiguille à déplacement positif (MaxZero [Becton Dickinson]).

 

Critère de jugement

Le premier critère de jugement principal était un critère composite combinant la colonisation du cathéter, l’infection locale et l’infection systémique liée au cathéter. Le second critère de jugement principal était le délai entre l’insertion du cathéter et l’échec du cathéter défini comme tout retrait prématuré des cathéters avant la fin du traitement, (autre que pour un remplacement de routine) et incluait la phlébite, l’infiltration, l’occlusion, le délogement, l’infection locale et l’infection systémique liée au cathéter. Les critères de jugement secondaires étaient : l’incidence de l’infection locale, de la colonisation du cathéter, de l’infection systémique liée au cathéter et de l’infection systémique toutes causes confondues, la phlébite, l’infiltration, l’occlusion du cathéter et le délogement du cathéter ; et la durée de la première hospitalisation censurée au 28ème jour. Les résultats secondaires de sécurité étaient : l’état quotidien de la peau, la douleur à l’insertion du cathéter, la satisfaction du patient au retrait du cathéter.

 

Calcul de puissance

Sur une base d’un taux de complications infectieuses de 12% dans le groupe povidone iodée, 712 patients étaient nécessaires pour détecter une réduction de 50% des complications infectieuses avec un α bilatéral de 5% et une puissance de 80%. Les auteurs ont inclus 1000 patients pour mieux exclure une interaction potentielle entre les deux stratégies (+30%) et une perte maximale de culture de cathéter de 10%. Les analyses ont été effectuées selon un plan factoriel deux par deux sur une base d’une intention de traitée modifiée avec analyse multivariée sur l’objectif principal et analyse de sensibilité pour l’impact des sujets exclus. Aucune analyse intermédiaire n’était prévue.

 

Résultats

Entre le 7 janvier 2019 et le 6 septembre 2019, sur les 1316 patients éligibles pour participer à l’étude, 1000 ont été recrutés. 250 patients ont été répartis au hasard dans chaque groupe d’étude. Au final, 989 patients avec cathéters veineux périphériques ont été évalués. La comparaison entre les deux antiseptiques n’a pas été affectée par le type de dispositifs, de même que les résultats entre dispositifs standard et innovants par le type d’antiseptique (OR d’interaction ajustée 1,69 [0,90-3,2]).

Les infections locales et les colonisations étaient moins fréquentes dans le groupe chlorhexidine que dans le groupe povidone iodée (0 [0 %] parmi 496 patients versus 6 [1 %] parmi 493 patients respectivement, HR ajusté 0,45 (0,26-0,99). Au total 846 catheters ont été mis en culture, avec 4 [1 %] colonisation parmi 431 patients dans le groupe chlorhexidine versus 70 [17 %] parmi 415 patients du groupe povidone iodée (HR ajusté 0.08 [95% CI 0.02–0.18]). Aucune infection liée au cathéter n’a été signalée dans l’un ou l’autre des deux groupes.

Les défaillances de cathéter sont survenues moins fréquemment dans le groupe dispositif innovant que dans le groupe standard (respectivement 172 [35%] des 494 cathéters versus 235 [48%] des 495 cathéters HR ajusté 0.52 [IC 95% 0.35 à 0.72]). L’utilisation de dispositifs innovants a réduit la fréquence des épisodes occlusion (20 [4 %] vs 44 [9 %]) et le délogement (67 [14 %] vs 94 [19 %]) des cathéters, mais pas la diffusion (71 [14 %] vs 82 [17 %]), la phlébite (12 [2 %] vs 12 [2 %]) ou l’infection locale (deux [<1 %] vs quatre [1 %]). La durée de vie médiane du cathéter était plus longue dans le groupe dispositif innovant (50.4h [29.6 à 69.4] vs 30.0h [16.6 à 52.6] ; p=0.0017). L’analyse sur l’objectif principal n’a pas été modifié par l’analyse de sensibilité pour les infections (patients exclus) (-12,8% [-16,1%/-9,5%}) ainsi que pour les défaillances de dispositif (exclus également) (-11,4% [-17,5%/-5,3%).

Aucune réaction indésirable grave n’a été rapportée avec les solutions antiseptiques. Les réactions cutanées mineures étaient peu fréquentes (16 [2%] d’événements), sans différence significative entre la chlorhexidine et la povidone iodée. Aucun effet indésirable lié à l’utilisation de dispositifs médicaux n’a été signalé.

 

Discussion

Cette étude montre que l’utilisation de chlorhexidine à 2 % plus alcool pour l’antisepsie de la peau comparée à la povidone iodée à 5 % plus alcool réduit le risque de colonisation des cathéters et d’infection locale. L’utilisation de solutions innovantes, notamment des cathéters intégrés fermés, des connecteurs sans aiguille à déplacement positif, des bouchons désinfectants et des seringues préremplies pour le rinçage, permet d’allonger le temps de séjour sans complication des cathéters.

Les auteurs justifient l’étude des solutions antiseptiques par le fait que très peu d’études ont porté sur le choix du meilleur antiseptique pour la désinfection de la peau avant l’insertion d’un cathéter veineux périphérique et que les recommandations françaises et anglaises en faveur de la chlorhexidine à 2% étaient basées sur les résultats de l’étude CLEAN menée sur des cathéters veineux centraux et artériels chez des patients de réanimation. La supériorité de la chlorhexidine sur la colonisation bactérienne pourrait être expliquée par son activité de suppression antimicrobienne à long terme et à l’inactivation de la povidone iodée par le sang et d’autres biomatériaux riches en protéines présents sur la peau bien que ce point soit débattu.

Les auteurs discutent ensuite des raisons de la supériorité des dispositifs innovants sur la durée de vie des cathéters : (i) les cathéters veineux périphériques intégrés réduisent les pressions exercées sur la veine et les mouvements du corps du cathéter contre la paroi interne de la veine, (ii) le rinçage du cathéter avant et après l’administration du médicament contribue à maintenir la perméabilité du cathéter et de limiter du risque de thrombose et de phlébite, (iii) l’utilisation de seringues pré-remplies a l’avantage d’augmenter l’observance du rinçage et de réduire le risque de contamination bactérienne.

Les dispositifs innovants ont montré une durée de vie d’environ 20h de plus que les dispositifs standard, soit environ 20% de la durée préconisée pour le changement de VVP (4 jours). Cependant le gain sera à démontrer en terme de coût pour des durées de perfusions plus prolongées (durée médiane ici uniquement de 39h [20h-65h]).

Il n’a été noté aucun évènement indésirable grave pour les solutions antiseptiques ou les dispositifs innovants.

Les auteurs mettent en évidence plusieurs limites à leur étude notamment l’impossibilité de l’aveugle, l’exclusion des patients chirurgicaux du fait du risque plus élevé de complications lors du transfert des patients vers le bloc opératoire ou encore le fait qu’il était impossible de savoir si tous les composants de la combinaison du groupe innovation étaient utiles ou non.

 

Conclusion

Les auteurs concluent que la chlorhexidine alcoolique à 2% devrait devenir l’antiseptique de première intention pour la désinfection de la peau avant l’insertion d’un cathéter veineux périphérique de courte durée. L’utilisation de cathéters intégrés fermés, de raccords sans aiguille à déplacement positif, de bouchons désinfectants et de seringues de rinçage pré-remplies devrait être privilégiée lorsque la durée prévue d’utilisation du cathéter dépasse 24 heures.

 

Bibliographie

  1. Tuffaha HW, Rickard CM, Webster J, et al (2014) Cost-effectiveness analysis of clinically indicated versus routine replacement of peripheral intravenous catheters. Appl Health Econ Health Policy 12:51–58. https://doi.org/10.1007/s40258-013-0077-2
  2. Mimoz O, Lucet J-C, Kerforne T, et al (2015) Skin antisepsis with chlorhexidine-alcohol versus povidone iodine-alcohol, with and without skin scrubbing, for prevention of intravascular-catheter-related infection (CLEAN): an open-label, multicentre, randomised, controlled, two-by-two factorial trial. Lancet Lond Engl 386:2069–2077. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(15)00244-5
  3. Small H, Adams D, Casey AL, et al (2008) Efficacy of adding 2% (w/v) chlorhexidine gluconate to 70% (v/v) isopropyl alcohol for skin disinfection prior to peripheral venous cannulation. Infect Control Hosp Epidemiol 29:963–965. https://doi.org/10.1086/590664
  4. Vlaar APJ, Hunt BJ (2018) Improving peripheral intravenous catheter failure rates. Lancet Lond Engl 392:366–367. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(18)31669-6