Choc septique : 3 essais à comprendre

Mis en ligne le 25 Avril 2014
Le Comité Scientifique et le Comité Réanimation vous proposent l’analyse simultanée des trois articles originaux parus en même temps dans le New England Journal of Medicine.

Dans cette session d’article commenté, le Comité Scientifique et le Comité Réanimation vous proposent un format original pour répondre au mieux à l’actualité scientifique. Nous vous proposons l’analyse simultanée des trois articles originaux concernant les modalités de traitement du choc septique parus online le 18 mars 2014, dans le New England Journal of Medicine. L’étude ProCESS a comparé différents protocoles d’optimisation hémodynamique à la phase initiale du choc septique. L’étude ALBIOS a testé l’intérêt de maintenir une albuminémie à 30 g/l lors du choc septique et l’étude IMPRESS a comparé deux niveaux de pression artérielle moyenne lors de la réanimation du choc septique. Ces trois études randomisées contrôlées se sont avérées « négatives » puisque dans les trois cas, il n’y avait pas de différence significative de mortalité entre les groupes avec et sans intervention. Décevant ? sans doute un peu. Peut-être que des études menées de façon plus ciblée sur des populations incluses en sous groupes auraient pu permettre d’affiner encore nos stratégies thérapeutiques. Cependant, ces résultats négatifs pourraient être également considérés comme positifs car traduisant la qualité des traitements mis en œuvre dans les bras contrôles qui peuvent être déjà considérés comme les traitements de référence.

Commentaires à propos de l’article « A Randomized Trial of Protocol-Based Care for Early Septic Shock : the ProCESS trial », publié online le 18/03/2014 dans le New England Journal of Medicine

Proposé par Sigismond Lasocki, pour le Comité Réanimation de la SFAR

Message
Cette étude randomisée, contrôlée, montre que les protocoles d’optimisation hémodynamique précoce, basés sur la mesure de la SvcO2 ou sur la pression artérielle seule, n’améliorent pas la survie des patients en choc septique, par rapport aux soins habituels.

Rationnel
En 2001 Rivers et al. ont montré que le pronostic des patients en sepsis sévère pouvait être grandement amélioré par une prise en charge agressive et protocolisée aux urgences. Leur protocole, EGDT (Early Goal Directed Therapy), ayant pour but de normaliser la ScVO2 dans les 6 premières heures du sepsis, permettait de réduire la mortalité de 46,5 à 30,5% (1). Cette étude a souligné l’importance du traitement précoce (concept des « golden hours »), mais l’intérêt du protocole en lui-même (notamment de la mesure de la ScVO2) reste incertain. Un protocole basé sur la mesure du lactate pourrait en effet être équivalant à l’EGDT (2). En outre, cette étude était monocentrique et a fait l’objet de polémiques (3).

Objectif de l’étude :
La question posée est double :
Une réanimation protocolisée permet-elle de diminuer la mortalité des patients hospitalisés pour sepsis sévère ?
Un protocole ayant pour objectif la normalisation de la ScVO2 est-il supérieur à un protocole ayant seulement un objectif hémodynamique (ie de Pression Artérielle).

Méthodologie
Il s’agit d’une étude randomisée, contrôlée, multicentrique (31 services d’urgences aux USA), incluant les patients hospitalisés aux urgences pour suspicion de sepsis et ayant depuis moins de 2h soit une hypotension « réfractaire « (PAS<90 mmHg après plus de 1000ml de remplissage) soit un lactate>4mmol. Les 3 groupes étaient :
– EGDT : protocole identique à Rivers, avec pour objectif une ScVO2≥70%
– protocole standard (PS): réanimation protocolisée pour PAS>100 mmHg
– soins habituels
Le critère de jugement principal est la mortalité à J60.

Résultats
1351 patients ont été inclus. Les protocoles étaient bien respectés (seulement 11,9% et 4,4% de déviations pour respectivement EGDT et PS).
La mortalité était plus basse qu’attendue (18,9% dans le groupe contrôle), mais non différente entre les groupes (19,5% pour l’ensemble des 2, 21% pour EGDT et 18,2% pour PS), avec un RR de 1,04[0,8-1,31], p=0,83 pour protocole vs soins habituels.
Aucune des analyses en sous groupes (selon la gravité, le type d’infection etc…) n’a retrouvé d’avantage aux groupes protocoles.

Discussion
Cette étude confirme la lecture qui avait été faite du travail de Rivers : l’important est d’agir vite (ici dans les 2 heures de l’hypotension) pour restaurer une hémodynamique, plus que de protocoliser les soins avec un objectif chiffré (comme une ScVO2 ≥70% ou une PAS≥100 mmHg). Ceci s’inscrit dans le retour à une médecine plus « personnalisée », laissant place au jugement du docteur et souligne aussi probablement les progrès réalisés depuis 2001.
Il est intéressant de noter que par rapport à l’étude de Rivers, le remplissage vasculaire est bien moins important (2,2 l/6h vs 5 l/6h pour les groupes), de même que le recours à la transfusion (14,4 vs 65%). Ceci est soit le fait de patients moins sévères (effectivement la mortalité est moindre) soit le reflet d’une modification globale de prise en charge.

Points forts
Il s’agit d’une étude multicentrique, permettant réellement d’évaluer l’intérêt et l’applicabilité d’un protocole de soins dans différents services (n=31).
La méthodologie est très robuste, pour chaque groupe, des médecins différents étaient en charge des patients dans chaque centre. Ainsi, il n’y a pas le risque qu’un médecin applique « inconsciemment » les protocoles (notamment le PS). Les médecins recevaient une formation spécifique selon leur groupe (EGDT, PS ou soins courants). Le taux d’adhésion aux protocoles est bon (et contrôlé selon une procédure pré-spécifiée).

Points faibles
Le calcul d’effectif a été modifié après la seconde analyse intermédiaire (passant d’un total à inclure de 1950 patients à 1350), du fait d’une mortalité observée plus basse : 20% au lieu de 30-46%. Mais les auteurs ont gardé la même hypothèse de réduction absolue de risque (6-7%), c’est à dire qu’ils ont considérés que l’effet des protocoles serait plus important (réduction relative de mortalité de 30-35% au lieu de 15-20%). Ceci n’est pas clairement justifié ni surtout discuté dans l’article.
Parmi les patients screenés, beaucoup n’ont pas été inclus pour des raisons logistiques (1191), constituant un possible biais. Le taux d’antibiothérapie adaptée n’est pas rapporté, alors qu’il s’agit d’un élément pronostic majeur.

Références
1- Rivers. New Engl J Med 2001 ; 345 :1368-77
2- Jones. JAMA 2010 ; 303 :739-46
3- Burton T. Wall Street Journal 2008 ; August 14

Commentaires à propos de l’article « High versus Low Blood-Pressure Target in Patients with Septic Shock », publié online le 18/03/2014 dans le New England Journal of Medicine

Proposé par Claude Martin, pour le Comité Réanimation de la SFAR

Message
Deux niveaux différents de pression artérielle moyenne (PAM), l’un élevé, l’autre plus bas, n’ont pas d’influence sur la survie des patients en choc septique, soit à 28, soit à 90 jours. Cependant, dans le groupe où la PAM était la plus élevée, il y a eu une augmentation de la fréquence de fibrillation auriculaire.

Rationnel
La « Surviving Sepsis Campaign » recommande d’obtenir un niveau de PAM d’au moins 65 mmHg. Cependant, les effets accompagnant un niveau de pression artérielle plus élevé ne sont pas connus.

Objectif
Comparer chez des patients en choc septique les effets d’une PAM soit de 80 à 85 mmHg (haut niveau de PAM), soit de 65 à 70 mmHg (bas niveau de PAM). L’objectif principal était d’évaluer la mortalité à J28. Parmi les objectifs secondaires, il y avait la mortalité à J90 et le nombre de journées avec des patients ne présentant pas de défaillances d’organes.

Méthodologie
Etude multicentrique sans aveugle incluant 776 patients en choc septique randomisés dans l’un des deux groupes (388 par groupe).

Résultats
La mortalité à J28 n’a pas été modifiée par le niveau de PAM obtenu (HR :1,07, intervalle de confiance à 95%, 0,84 à 1,38, p = 0,57). La mortalité à J90 n’était pas affectée non plus et proche de 43% dans les deux groupes. Les effets indésirables graves n’étaient pas différents dans les deux groupes à l’exception de l’apparition à une fréquence plus élevée d’une fibrillation auriculaire dans le groupe de patients avec la PAM élevée. Dans un sous groupe de patients avec une hypertension artérielle chronique le recours à une suppléance de la fonction rénale a été significativement plus basse dans le groupe où la PAM était plus élevée (p = 0,046)

Points forts
L’étude est randomisée, multicentrique avec un nombre important de patients. Elle permet de répondre à une question évoquée depuis longtemps mais sans réponse jusque-là : obtenir une PAM nettement plus élevée que 65 mmHg permet-il d’améliorer le pronostic des patients en choc septique. La réponse est clairement non.

Points faibles
Cette étude présente un point faible majeur. Le niveau « bas » de PAM prévu par le protocole devait être dans une fourchette de 65 à 70 mmHg ; dans l’étude, en moyenne, les patients du groupe PAM « basse » ont d’emblée, à l’inclusion dans l’étude, une PAM supérieure à 70 mmHg. Ainsi ce groupe ne correspond pas aux critères du protocole. De même, toujours en moyenne, les patients du groupe PAM « haute » sont plus souvent au dessus de 85 mmHg qu’en dessous.

Implications pour la pratique clinique
Cette étude montre que dans la population étudiée il n’y a pas d’intérêt à tirer vers le haut le niveau de PAM chez les patients en choc septique et que des valeurs entre 65 et 75 mmHg pourraient être les objectifs du traitement. Il est possible que chez des patients ayant une hypertension artérielle chronique, obtenir un niveau plus élevé de PAM pourrait avoir un avantage : dans l’étude ils sont moins souvent soumis à une suppléance de la fonction rénale. Ceci reste à prouver par une nouvelle étude ciblant ce type de patients.

Commentaires à propos de l’article « Albumin Replacement in Patients with Severe Sepsis or Septic Shock », publié online le 18/03/2014 dans le New England Journal of Medicine

Par le Dr Laurent Muller, pour le Comité Réanimation de la SFAR

Message
Maintenir une albuminémie d’au moins 30 g/L par l’administration itérative de solutions d’albumine à 20 % n’est pas associé à une amélioration de la survie au cours du choc septique.

Rationnel
Au cours du choc septique, la correction d’une hypoalbuminémie pourrait avoir des effets favorables sur les lésions d’oxydation, sur le transport des molécules endogènes et des médicaments et sur l’équilibre acido basique1. Par ailleurs, l’opportunité du maintien d’une albuminémie normale dans le but de préserver la pression oncotique et le volume intravasculaire n’est pas démontrée et reste très débattue2-6.

Méthodologie
Il s’agit d’une étude randomisée multicentrique ouverte. Ce travail a comparé l’administration d’albumine à 20 % avec des cristalloïdes dans le but de maintenir l’albuminémie > 30 g/L jusqu’à la sortie de réanimation (ou à 28 jours) contre l’administration de cristalloïdes seuls. L’objectif principal était la mortalité à 28 jours. Les objectifs secondaires étaient : la mortalité à 90 jours, le nombre et la sévérité des défaillances d’organes ainsi que la durée d’hospitalisation en réanimation et la durée totale de séjour à l’hôpital. Les objectifs tertiaires étaient la durée d’utilisation des vasopresseurs et la fonction rénale.

Résultats
L’étude a inclus 1818 patients (Groupe albumine, n = 910 ; Groupe cristalloïdes, n = 908). La mortalité à J28 était de 285 patients sur 895 analysés (31,8%) dans le groupe albumine contre 288 sur 900 (32,0%) dans le groupe cristalloïdes (Risque relatif dans le groupe albumine = 1,00; [IC 95 %] = 0.87 to 1.14; P = 0,94). Aucune différence n’a été mise en évidence sur les objectifs secondaires. Au cours des 7 premiers jours, les patients sous albumine atteignaient plus fréquemment dans les 6 premières heures l’objectif de 65 mmHg de PAM (P = 0,04), avaient une pression artérielle plus élevée (P = 0,03) et une balance hydrique plus basse (P<0,001). Le volume de fluides perfusés quotidiennement n’était pas différent. Le sevrage des vasopresseurs était significativement plus rapide dans le groupe albumine (3 jours (1-6) vs 4 jours (2-7) jours, P = 0,007). Aucune différence significative du nombre d’épurations extra rénale ou des stades du score RIFLE n’a été mise en évidence. La durée de ventilation mécanique était non différente. Au cours de la réanimation, les patients du groupe albumine étaient significativement plus anémiques et recevaient un volume de culots globulaires significativement plus important.

Points forts
Etude randomisée, dont le nombre de patients inclus est l’un des plus élevés sur le sujet. La pathologie est homogène contrairement aux études précédentes ou tous les patients critiques étaient inclus.
L’objectif thérapeutique est très bien défini et sans appel : correction d’un chiffre d’albumine.

Points faibles
La première limitation est le caractère ouvert de l’étude.
Une seconde limitation est l’état hémodynamique à l’inclusion. Comme dans les études SAFE8, CHEST10 et 6S11, les patients n’avaient à l’inclusion aucun critère de gravité : PAM 74 mm Hg, débit urinaire 50 ml/h, lactate 2,4 mmol/l, SvO2 73 %, FC 105 bpm. Comme évoqué précédemment, la gravité hémodynamique peut jouer un rôle dans l’efficacité de l’albumine. Cependant, ce n’était pas l’effet hémodynamique qui était prioritairement recherché.
Une troisième limitation est que 50 % des patients inclus avaient reçu des colloïdes de synthèse dans les 24 heures précédentes l’inclusion et que 17 à 20 % des patients avaient reçu de l’albumine au cours de la même période de pré inclusion, expliquant la correction partielle de l’état hémodynamique à l’inclusion.
Enfin, la mortalité observée étant plus faible que celle utilisée pour calculer le nombre de sujets nécessaires, l’étude peut manquer de puissance.

Implications cliniques
L’étude peut être lue de deux façons. Une première lecture consiste à conclure que, dans la mesure où la correction de l’hypoalbuminémie (ou plus largement de la pression oncotique) au cours du choc septique n’apporte aucun bénéfice en termes de survie, son utilisation (par ailleurs couteuse) est inutile. Dans cette optique, l’étude ALBIOS confirme les résultats obtenus avec les colloïdes de synthèse7. Une seconde lecture, suggérée par les auteurs dans la discussion, consiste à mettre en avant le gain hémodynamique significatif observé avec l’albumine. Malgré l’absence d’effet sur la survie, l’administration d’albumine apporte dans l’étude ALBIOS un bénéfice hémodynamique significatif en termes de rapidité de stabilisation hémodynamique, de sevrage des vasopresseurs et de balance hydrique. Les mêmes effets hémodynamiques favorables avaient été observés avec l’albumine dans le sous-groupe des patients septiques de l’étude SAFE8,9 en 2004, mais également avec les colloïdes de synthèse dans l’étude CHEST10. Contrairement aux colloïdes de synthèse, aucun effet toxique n’a été observé avec l’albumine. La correction de la pression oncotique semble donc bénéfique en termes hémodynamiques et d’innocuité au cours du choc septique, malgré la fuite capillaire inflammatoire.

Références
1. Delaney AP, Dan A, McCaffrey J, Finfer S: The role of albumin as a resuscitation fluid for patients with sepsis: a systematic review and meta-analysis. Crit Care Med 2011; 39: 386-91
2. Finfer S, Liu B, Taylor C, Bellomo R, Billot L, Cook D, Du B, McArthur C, Myburgh J: Resuscitation fluid use in critically ill adults: an international cross-sectional study in 391 intensive care units. Crit Care 2010; 14: R185
3. Dubois MJ, Vincent JL: Use of albumin in the intensive care unit. Curr Opin Crit Care 2002; 8: 299-301
4. Vincent JL, Dubois MJ, Navickis RJ, Wilkes MM: Hypoalbuminemia in acute illness: is there a rationale for intervention? A meta-analysis of cohort studies and controlled trials. Ann Surg 2003; 237: 319-34
5. Vincent JL: Relevance of albumin in modern critical care medicine. Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2009; 23: 183-91
6. Wiedermann CJ, Wiedermann W, Joannidis M: Hypoalbuminemia and acute kidney injury: a meta-analysis of observational clinical studies. Intensive Care Med 2010; 36: 1657-65
7. Zarychanski R, Abou-Setta AM, Turgeon AF, Houston BL, McIntyre L, Marshall JC, Fergusson DA: Association of hydroxyethyl starch administration with mortality and acute kidney injury in critically ill patients requiring volume resuscitation: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2013; 309: 678-88
8. Finfer S, Bellomo R, Boyce N, French J, Myburgh J, Norton R: A comparison of albumin and saline for fluid resuscitation in the intensive care unit. N Engl J Med 2004; 350: 2247-56
9. Finfer S, McEvoy S, Bellomo R, McArthur C, Myburgh J, Norton R: Impact of albumin compared to saline on organ function and mortality of patients with severe sepsis. Intensive Care Med 2011; 37: 86-96
10. Myburgh JA, Finfer S, Bellomo R, Billot L, Cass A, Gattas D, Glass P, Lipman J, Liu B, McArthur C, McGuinness S, Rajbhandari D, Taylor CB, Webb SA: Hydroxyethyl starch or saline for fluid resuscitation in intensive care. N Engl J Med 2012; 367: 1901-11
11. Perner A, Haase N, Guttormsen AB, Tenhunen J, Klemenzson G, Aneman A, Madsen KR, Moller MH, Elkjaer JM, Poulsen LM, Bendtsen A, Winding R, Steensen M, Berezowicz P, Soe-Jensen P, Bestle M, Strand K, Wiis J, White JO, Thornberg KJ, Quist L, Nielsen J, Andersen LH, Holst LB, Thormar K, Kjaeldgaard AL, Fabritius ML, Mondrup F, Pott FC, Moller TP, Winkel P, Wetterslev J: Hydroxyethyl starch 130/0.42 versus Ringer’s acetate in severe sepsis. N Engl J Med 2012; 367: 124-34