Source : Groupe SFAR Covid-19

*RédacteursMarc Leone, Aix Marseille Université, AP-HM Hôpitaux Universitaires, Hôpital Nord, Service d’Anesthésie et de Réanimation, CNRS, IRD, MEPHI, IHU Méditerranée Infection, Aix Marseille Université, Marseille, France

Olivier Joannes-Boyau, Service d’Anesthésie-Réanimation Sud, Centre Médico-Chirurgical Magellan, Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Bordeaux, 33000, Bordeaux, France

Karim Asehnoune, Anesthesia and Critical Care, University Hospital of Nantes, Hôtel Dieu, Nantes, France; Laboratoire UPRES EA 3826 «Thérapeutiques cliniques et expérimentales des infections». University hospital of Nantes, Nantes, France

Jean-Michel Constantin, Medecine Sorbonne-Université, DMU DREAM, AP-HP Sorbonne Université, Pitié-Salpêtrière Hospital, Paris, France; GRC ARPE, Medecine Sorbonne-Université, Paris, France

Anne-Claire Lukaszewicz, Service d’Anesthésie Réanimation, Hôpital Neurologique, Hospices Civils de Lyon, 59, boulevard Pinel, 69500 Bron, France; EA 7426 PI3, Hospices Civils de Lyon/Université de Lyon/bioMérieux, Hôpital E. Herriot, Lyon, France

Thomas Geeraerts, Pole Anesthésie-Réanimation et Institut Toulousain de Simulation en Santé (ItSimS), CHU de Toulouse, Université Toulouse 3-Paul Sabatier, Toulouse, France

 

Introduction

La pandémie COVID-19 a plongé notre pays dans une crise sanitaire sans précédent. Le foyer infectieux a débuté en Chine dans la province de Wuhan, puis a touché l’Europe avec un premier foyer en Italie puis une diffusion en France et en Espagne. Depuis, environ deux mois se sont écoulés, et la situation initialement appréhendée a sensiblement évolué au fur et à mesure que les expériences collective et individuelle ont progressé. Nous reprenons ici quelques points subjectifs qui nous semblent intéressants à développer.

Préparer en urgence les équipes

Nos collègues italiens nous avaient prévenus. Dès le 5 Mars, l’European Society of Intensive Care Medicine (ESICM) publiait sur son site un appel des professeurs Cecconi, Pesenti et Grasselli (https://mailchi.mp/esicm/the-future-of-haemodynamic-monitoring-first-webinar-of-the-year-1009715). Leur partage d’expérience de réanimation après 10 jours d’épidémie de COVID-19 invitait à nous préparer en urgence et ne pas sous-estimer la tâche. Parmi les points essentiels, les médecins milanais conseillent alors :

  • de s’assurer que votre personnel est formé aux procédures d’enfilage et de retrait des équipements personnels individuels (EPI) ;
  • d’utiliser autant que possible l’éducation, la formation et la simulation.

Les anesthésistes-réanimateurs, qui sont habitués à gérer les situations de crise, sont impliqués activement dans les plans blancs hospitaliers. Leur polyvalence est une force indéniable. Les salles de surveillance post-interventionnelle sont souvent utilisées pour l’accueil et la prise en charge des patients en cas d’afflux de patients.

La situation était toutefois inédite. Les procédures COVID-19 ont été au mieux disponibles début mars. L’organisation de l’accueil des patients, les précautions d’hygiène, les procédures d’intubation, de prise en charge en réanimation ou au bloc opératoire ont dû être adaptées. Ces procédures étaient dans un bon nombre de cas mal connues. De plus, cette pandémie s’est accompagnée de réactions émotionnelles intenses. La confiance et le sentiment d’efficacité des professionnels de santé pour appliquer correctement les mesures de protections étaient faibles, alors que celle de se contaminer était grande. Deux procédures ont d’emblée été identifiées comme source d’erreur et de risque majeur par les professionnels de l’anesthésie-réanimation : l’habillage et retrait des EPI et la gestion des voies aériennes.

Pour les hôpitaux qui ont eu la chance de disposer d’un délai avant l’arrivée de l’afflux de patients, l’utilisation de ce délai pour former les soignants devenait alors une priorité absolue. Le nombre de personnes à former a été très important. Dans certains centres hospitaliers universitaires (CHU), les services d’anesthésie et de réanimation peuvent compter jusqu’à 120 équivalents temps pleins séniors, plus de 100 internes et jusqu’à 600 infirmièr(e)s diplômé(e)s d’état, infirmièr(e)s anesthésistes et aide-soignants. Les infirmièr(e)s de bloc opératoire, des soins intensifs de spécialité, de réanimations pédiatriques, et les sages-femmes avaient les mêmes besoins de formation. Evidemment, les infirmièr(e)s des services d’hospitalisation et les médecins des autres spécialités exprimaient des besoins de formation aux procédures d’hygiène.

Dans la plupart des institutions, les centres de simulation ont été mobilisés pour faire face à ces besoins de formation. En collaboration avec les équipes d’hygiène, les ressources pédagogiques ont été identifiées et le travail réparti : les anesthésistes-réanimateurs ont souvent eu la charge de former les personnels de soins critiques.

Une approche pragmatique, efficace et rapide devait être employée et tous les formateurs disponibles mobilisés. Il n’était alors pas question de demander aux soignants de se déplacer dans les centres de simulation. La simulation in situ devenait alors la méthode la plus efficace, permettant de montrer, apprendre, appliquer, et même d’améliorer les procédures, avec deux objectifs pédagogiques :

  • être capable de s’habiller et de retirer son EPI selon les recommandations pour la prise en charge d’un patient suspect de COVID-19 ;
  • être capable d’intuber un patient suspect de COVID-19 en respectant les procédures de protection.

Les ressources internes utilisées ont été les procédures écrites le plus souvent par les équipes d’hygiène, et adaptées à la pratique de l’anesthésie-réanimation. Les ressources externes ont été dans de très nombreux cas les excellentes vidéos de centres de simulation réputés ou de services experts (voir https://sfar.org/covid-19/). Des formations en groupes restreints ont été réalisées dans les services hospitaliers avec visionnage et explicitation des vidéos, suivi d’une mise en situation pluridisciplinaire en équipe in situ avec habillage et retrait des EPI. Des mannequins ont permis de s’entrainer aux procédures d’intubation trachéale. Dans beaucoup d’hôpitaux, le nombre de personnels formés a été impressionnant, pouvant aller jusqu’à 1000 par semaine. Finalement, ceci a représenté un bel exemple de solidarité et d’efficacité, permettant de préparer les équipes à faire face à cette crise sanitaire.

D’un épisode infectieux guère plus sévère qu’une grippe à une pandémie

Au départ il y a une zoonose, un betacoronavirus endémique chez des chauve-souris en Chine (Rhinolophus) et chez le pangolin, petit mammifère édenté d’Afrique et d’Asie à la vue duquel on se prend à penser que le ridicule ne tue plus, largement braconné car très apprécié pour sa chair en Asie (https://www.youtube.com/watch?v=9AoylmoPFdI). Les premières recherches montrent que ces deux espèces possèdent des virus ayant un patrimoine génétique très proche du SARS-Cov-2 (entre 82 % et 99 % selon les souches). Il reste difficile de savoir exactement comment s’est effectuée la transmission à l’homme : morsure de chauve-souris, consommation de pangolin, recombinaison génétique de virus. L’épicentre de la contamination semble être le marché au poisson de Wuhan, endroit où ont été retrouvés les premiers cas, bien qu’il ne soit pas assuré que les premiers humains contaminés l’aient été par des animaux à cet endroit. En effet, l’infection a pu avoir lieu sur un autre site, avec une chaîne de transmission débutant au marché de Wuhan, lieu de forte interaction sociale.

L’annonce officielle chinoise de l’épidémie de COVID-19 est survenue à la fin de décembre 2019 lors de l’apparition de cas de pneumopathies virales d’un nouveau type chez un nombre croissant de personnes dans la province du Hubei. Cependant, les premiers cas semblent remonter à mi-novembre 2019 ; il est probable que des cas sporadiques aient existé bien avant ça dans cette province avant qu’un nombre suffisant de personnes soient infectées pour que la pathologie soit identifiée. Le patient zéro à ce jour, n’a toujours pas été identifié. Le virus s’est ensuite répandu à bas bruit, infectant un grand nombre de personnes, dont beaucoup sont restées asymptomatiques. Ces formes asymptomatiques sont un élément clé car elles ont favorisé la propagation silencieuse de la maladie.

Le premier cas italien, un patient de 38 ans admis à l’hôpital de Codogno (Lombardie), a été repéré le 20 février 2020. Néanmoins, une étude suggère que des cas sont apparus dès le début de janvier dans le sud de la Lombardie. Rétrospectivement, on peut évoquer des cas potentiels dès décembre 2019, où des médecins généralistes avaient signalé des pneumopathies atypiques chez des personnes âgées.

La gravité de la pandémie découle de l’absence initiale de la prise en compte de la gravité de cette infection. La maladie est assimilée à une grippe, certes deux fois plus contagieuse, mais localisée en Chine, avec une mortalité estimée initialement à 2,3 %, bien inférieure à celle du SRAS (9,6 %) et du MERS (35 %). Quand, en Chine puis en Europe, les mesures de confinement sont prises, le virus a déjà eu le temps de se répandre dans la population et l’épidémie devient une pandémie. Plusieurs facteurs ont concouru pour aboutir à ce résultat dont la contagiosité élevée, le mode de contamination probable par gouttelettes et contact, le nombre élevé de formes asymptomatiques mais contagieuses, une période d’incubation longue (5 à 14 jours) et une contagiosité présente avant l’apparition des symptômes. La gravité de cette pandémie s’illustre par un nombre important de cas nécessitant une hospitalisation (20 à 30 %), notamment en soins critiques (5 %), très supérieurs à la grippe et qui va faire exploser les différents systèmes de santé.

Stratégies des différents pays dans la lutte contre l’épidémie

A partir du début de l’épidémie, trois stratégies différentes ont été mises en application selon les pays. La Chine, puisqu’elle a été la première touchée, a dû réagir en urgence pour juguler la propagation exponentielle de la maladie. Seul le confinement total de l’épicentre et de la province aux alentours ainsi que la recherche et l’isolement des sujets contaminés dans le reste du pays étaient envisageables. Pour les autres, plusieurs choix étaient possibles : l’immunisation de masse, sans aucun confinement, avec un retour à la normale après quelques semaines quand environ 75 % de la population est immunisé. Cette stratégie a été mise en pratique aux Pays-Bas et en Norvège pour être rapidement abandonnée. Le contrôle strict aux frontières avec isolement de tout cas suspect associé à un dépistage de masse. Dans cette stratégie, l’isolement est systématique de tout sujet positif. Il est alors nécessaire de développer une recherche par intelligence artificielle des contacts et clusters en fonction des modélisations de déplacement. C’est la solution choisie par la Corée du sud dès les premiers cas déclarés en Chine, et dans une moindre mesure, par Hong Kong, Singapour et le Japon. Enfin, la solution choisie par la majorité des pays est le confinement à des degrés divers, non pour bloquer la propagation, mais pour limiter le nombre de malades concomitants et donc de cas graves nécessitant des soins hospitaliers voire critiques.

Il restait potentiellement une quatrième voie, malheureusement explorée par peu de pays et pourtant évoquée par certains mathématiciens et épidémiologistes : le confinement gradué et ciblé. Ainsi les personnes âgées de plus de 60 ans, les personnes plus jeunes mais à risque (immunodépression, obésité, diabète, hypertension) étaient confinés, testés et isolés si positifs. Le reste de la population était contaminé progressivement, testé à grande échelle, et isolé si positif. Des confinements partiels pouvaient être décidés en fonction du nombre de cas graves. Cette solution aurait potentiellement augmenté très faiblement le cas graves chez les patients plus jeunes, voire possiblement la mortalité à la marge dans cette population, mais aurait réduit la mortalité dans l’ensemble de la population du pays.

Le dépistage systématique ou orienté ?

La stratégie habituelle face à un risque infectieux est de dépister les cas et de les isoler. Cette stratégie est utilisée quotidiennement en réanimation pour éviter les transmissions croisées de bactéries multirésistantes. Face à la pandémie à COVID-19, le dépistage systématique, pour des raisons de au moins initialement de disponibilité des tests, n’a pas été l’option choisie en France. Il a été décidé de ne tester que les populations développant des signes cliniques évoquant la maladie. Parmi ces signes cliniques, le rôle de la fièvre, comme souvent en infectiologie, a été probablement surévalué. Or, avec l’évolution de la pandémie, il est apparu que la fiabilité de ce signe n’était pas optimale, puisque 30 % des patients développaient la maladie en l’absence de fièvre. Cette situation se répète fréquemment, conduisant même dans certaines séries à une surmortalité chez les patients sans fièvre. Aujourd’hui il est suggéré qu’un dépistage de masse produise des effets positifs en permettant la mise en isolation précoce des cas positifs. Toutefois, la sensibilité du test de dépistage reste modérée, pour des raisons techniques lors de la collecte de l’échantillon.

Le rôle de la tomodensitométrie thoracique à basse fréquence sans injection de produit de contraste a émergé au fur et à mesure que la pandémie se répandait. La performance diagnostique de cet examen est supérieure à celle du test biologique. Ceci souligne la nécessité de développer ces approches radiologiques à basse fréquence, donc peu irradiantes et souvent utiles aux diagnostics. Il reste toutefois regrettable que de nombreux experts aient rejeté initialement le rôle facilitant de l’échographie thoracique. Elle est utilisée quotidiennement dans la plupart des services de soins critiques ; les images retrouvées sont assez typiques. Cette technique est non irradiante, réalisable au lit du patient et ne comporte pas de risque. Les données viendront probablement dans quelques semaines, mais un certain immobilisme a conduit à un retard dans son utilisation.

La prévention

L’expérience de pandémies virales rapprochées nous impose un changement de comportement avec l’application stricte de mesures barrières et de distanciation sociale. La réponse immédiate à ces pandémies de nouveaux virus, inconnus et moins prévisibles que les maladies virales saisonnières, ne peut probablement pas être la vaccination. L’acquisition de cette culture et de ces pratiques devrait profondément modifier le comportement des soignants, en particulier ceux qui sont en première ligne comme les anesthésistes réanimateurs, réanimateurs médicaux et urgentistes. Il est probable que ce changement de pratique sera bientôt regardé comme une évidence, au même titre qu’actuellement les précautions d’hygiène prises au sein du bloc opératoire. L’enjeu sera de maintenir une médecine humanisée malgré ces mesures barrières.

Les facteurs de risque de l’infection COVID-19 ne sont pas si caractéristiques

Dans la culture médicale, l’infection virale est favorisée par l’immunodépression et la fragilité. C’est le cas pour les infections à Herpes virus ou à Cytomégalovirus qui sont des marqueurs de fragilité chez les patients hospitalisés en réanimation, sans que leur pathogénicité propre ne soit confirmée. L’expérience chinoise a laissé supposer qu’il en était de même avec le COVID-19. La réalité rencontrée dans les unités françaises ces dernières semaines est bien plus nuancée. Certes, les patients atteints du COVID-19 sont souvent âgés, fragiles ou immunodéprimés. Les femmes enceintes semblent également à risque. Toutefois, nous découvrons une proportion de patients plutôt jeunes, avec peu de comorbidités, souvent réduites à un surpoids ou une hypertension. L’infection à COVID-19 n’est donc pas la seule maladie du sujet fragile ou âgé mais elle peut potentiellement se répandre à une grande partie de la population.

Une maladie d’un seul organe ?

Les données chinoises suggéraient un tableau de pneumonie avec une détresse respiratoire exclusive. En pratique, cette détresse est au premier plan chez la plupart des patients. Toutefois, l’expérience montre qu’une part non négligeable de patients a en plus de l’atteinte respiratoire une défaillance hémodynamique (chute de la pression artérielle) ; les causes sont variables. Parmi les effets délétères de l’administration de produits d’anesthésie, l’hypotension est fréquente. Une atteinte du myocarde, appelée myocardite, semble également retrouvée de façon significative dans le tableau clinique. Les autres causes à éliminer formellement sont l’embolie pulmonaire, une coagulation intense étant rapportée chez les patients COVID-19. Enfin, il est difficile de faire la part entre les effets de l’infection virale et ceux des médicaments administrés, notamment le lopinavir/ritonavir ou l’hydroxychloroquine. Les dysfonctions hépatique, rénale et hématologique ne sont pas rares.

Une des fonctions les plus atteintes dans le COVID-19 est l’immunité. Une lymphopénie profonde, souvent inférieure à 1000 cellules par mm3, est fréquemment retrouvée. Elle a été associée au mauvais pronostic des patients. Certaines observations suggèrent que la lymphopénie est associée à la présence du virus dans les prélèvements oro-pharyngés et bronchiques. La gravité de l’infection semble donc dépendre d’un équilibre entre la fonction immunitaire du patient et l’agent pathogène. Cette constatation apporte immédiatement quelques réflexions : 1) la réserve immunitaire pourrait être un facteur pronostique, ce qui serait cohérent avec la meilleure protection des jeunes que des sujets âgés face à ce challenge immunitaire, 2) la restauration de la fonction lymphocytaire pourrait être un axe thérapeutique à investiguer, 3) la lymphopénie serait un marqueur de sévérité pour définir des phases de la maladie afin de décider l’introduction de traitement innovants et de la réponse à ces traitements ? Enfin, de façon quasi-sytématique, il existe une neuro-inflammation responsable de signes précoces comme l’anosmie, mais aussi de delirium et de signes de dysautonomie.

Des stratégies à repenser

Avant que la pandémie COVID-19 ne se répande en France, les expériences chinoise et italienne avaient largement été publiées et diffusées via les revues scientifiques, les réseaux sociaux et les blogs professionnels. La prise en charge de la ventilation mécanique chez ces patients a été presque standardisée : haut niveau de pression expiratoire positive, sédation et curarisation profondes et prolongées, décubitus ventral précoce et systématique.

En France, les anesthésistes réanimateurs ont été formés à la réhabilitation précoce, notamment pour l’activité péri-opératoire. Dans la plupart des centres, des stratégies alternatives à celles rapportées dans les expériences précédentes sont en cours de développement. L’adhésion à des pratiques issues des recommandations utilisées sur une base quotidienne en réanimation a souvent, semble-t-il, été choisie. En particulier, la conduite de la sédation avec une réévaluation quotidienne si les conditions ventilatoires le permettent, la personnalisation des niveaux de pression expiratoire positive, l’absence de curarisation systématique et le recours au décubitus ventral sur des indications démontrées se sont imposés comme incontournables dans un grand nombre d’équipes. Il est impératif de ne pas reculer dans nos pratiques sans avoir dans un premier temps évalué la pertinence des recommandations émises par nos collègues.

Traitement : l’anesthésiste réanimateur face à l’absence de preuve

Le niveau de preuve des études pour prendre en charge sur le plan antiviral les patients COVID-19 est très faible. Les études ont soit des effectifs réduits, soit des méthodologies discutables. Des études négatives ont été surcotées à partir d’analyses de sous-groupes. Le débat d’experts a largement débordé dans les médias et le grand public, générant de la confusion et de l’émotion. En réanimation, aucun traitement n’a démontré un effet positif.  Un traitement par remdesivir peut être prescrit mais il n’est pas disponible hors essai clinique en France. De plus, ses nombreuses contre-indications rendent son utilisation marginale en réanimation. Les autorités ont donc préconisé, sur un mode compassionnel, deux options : le lopinavir/ritonavir ou l’hydroxychloroquine. Les effets secondaires, probablement plus marqués dans la population de réanimation que dans la population ne nécessitant pas une admission en réanimation, font qu’un grand nombre de patients ne recevra aucun de ces traitements.

Le mérite de ce débat est probablement d’avoir confronté le grand public aux enjeux de la recherche clinique, de sa méthodologie et de ses problèmes éthiques. Les progrès ont été immenses en quelques semaines, en termes de « culturation » médicale de la population, même si cela a été conduit dans une atmosphère douloureuse et parfois suspicieuse. Il faut également espérer que les délais de mise en place des études cliniques soient discutés après cette crise, celle-ci ayant souligné le manque d’adéquation entre les impératifs de la recherche et le temps incompressible nécessaire au lancement d’un essai reposant sur une méthodologie satisfaisante.

L’administration rationnelle des traitements innovants nécessite la définition de populations de patients cibles définies par des caractéristiques comme l’âge, les comorbidités et le stade de gravité de la maladie. Dans cet objectif, il est nécessaire d’avoir une description précise de l’évolution de la maladie, avec des critères déterminants de sa sévérité comme l’apparition de signes fonctionnels, les signes d’atteinte pulmonaire, la lymphopénie ou la survenue d’un choc.

Des traitements modulant l’immunité ont été proposés devant l’intensité de l’inflammation en phase tardive de la maladie. Une prise en charge spécifique de cette phase a été suggérée par certains experts, mais, à ce jour, le doute subsiste pour différentes raisons. D’abord, aucun traitement modulant l’inflammation n’a montré son efficacité sur les patients en réanimation, à l’exception des corticoïdes dans des conditions très particulières. Ensuite, dans un contexte de sepsis d’origine virale, la mise en route d’un traitement immunodépresseur peut aboutir potentiellement à des effets délétères importants en réactivant la réplication virale. En Chine, quelques observations de patients ont suggéré des atteintes pulmonaires tardives liées à la réactivation de la pathologie virale. Ces réactivations encore peu décrites pourraient être associées à l’administration de traitements immunosuppresseurs. Il faut savoir qu’aujourd’hui la plupart des essais cliniques sur la réponse immune en réanimation testent des médicaments stimulants l’immunité plutôt que des immunosuppresseurs.

 

Organisation de la communication au sein du service d’anesthésie-réanimation

Dans une situation comme une pandémie virale, la circulation de l’information est rapide. Le plus souvent, sans intention malveillante, de nombreux acteurs se sentent autorisés à communiquer, à diffuser des informations. De nombreuses procédures, algorithmes, arbres décisionnels parfois contradictoires peuvent alors circuler au sein d’un même service. Ces contradictions deviennent une source majeure d’erreurs et de stress. Les professionnels doutent alors de la fiabilité des informations, et appliquent des procédures non validées. Le contrôle de la communication est un enjeu stratégique majeur. De plus, en situation de crise, l’instabilité est la règle conduisant à des modifications fréquentes des procédures. Il est primordial d’établir un canal de communication avec tous les soignants, représentant la parole du service et diffusant les procédures, checklists, recommandations et vidéos validées, avec un objectif de gestion des risques, de cohérence de prise en charge avec mise à jour quotidienne voire biquotidienne. Les outils de communication doivent permettre de consulter ces documents depuis le lieu de travail, mais aussi depuis le domicile, beaucoup de professionnels profitant de leur repos pour s’informer.

Il s’agit ici d’une communication descendante, avec un contrôle strict de l’information diffusée visant principalement à informer les professionnels. Il ne s’agit pas d’un espace de discussion, mais bien d’un espace d’information. Les responsables doivent cependant également organiser le retour d’information et la rédaction et validation rapide de nouvelles procédures si nécessaire. Ce retour d’information, basée sur l’expérience de terrain permettra d’enrichir le contenu de l’information disponible au plus près des besoins.

Garder le contact avec les proches

La pandémie COVID-19 s’accompagne d’une restriction majeure des visites des proches en réanimation. Seules quelques exceptions autorisent les proches à venir en réanimation. Cet isolement peut avoir des conséquences délétères : angoisse majeure et stress post-traumatique chez les proches ou les patients, deuil compliqué persistant chez les proches. Le manque de communication entre les soignants et les proches peut être source d’une perte de la relation de confiance, indispensable à la qualité des soins. La surcharge de travail, la disponibilité limitée et la fatigue des soignants dans une telle situation les rendent moins disponibles pour la communication avec les proches. La communication avec les proches doit toutefois rester une priorité pour les soignants. Si rien ne remplace le contact humain, celui-ci est rendu impossible par la pandémie et le confinement. Le téléphone reste un outil efficace, mais il reste difficile à manier, en particulier lors d’annonce d’aggravation.

Il existe de nombreux exemples de solutions innovantes utilisant les outils de communication moderne avec des visioconférences rendant possible le contact entre les soignants et les proches mais aussi entre les patients et les proches si possible. Rompre l’isolement des proches et des patients par une communication régulière et adaptée de la part des soignants doit être une priorité. La détection, même par téléphone, des familles ou des proches en difficulté ayant des signes de détresse psychique doit conduire les médecins à les orienter vers une consultation spécialisée avec soutien psychologique. La reconnaissance et la prise en compte des émotions des proches, même en situation de pandémie, dans une démarche empathique, nous permettra probablement une meilleure sortie de crise.

Fin de vie : la chute d’un tabou

La crise COVID-19 a permis d’ouvrir le débat sur les difficultés du triage et de la fin de vie, un débat dans lequel les anesthésistes réanimateurs se sentaient souvent bien isolés. En effet, même au sein des hôpitaux, la trajectoire la plus fréquente des patients en fin de vie inclut la réanimation. Souvent, les motivations sont justes et répondent à des impératifs compris par tous. Quelquefois, la mécanique s’emballe et la réanimation devient pour la chaîne d’intervenants comme la solution la plus confortable, l’anesthésiste réanimateur ayant la responsabilité de prendre les décisions difficiles et d’être confronté à une famille plus ou moins informée.

La pression exercée par la pandémie a renforcé la nécessité de triage des patients. Le grand public, via les chaînes d’information ou les réseaux sociaux, s’est parfois montré surpris de ces pratiques. Il a fallu rappeler les lois qui dirigent nos pratiques, les engagements éthiques du corps médical et le sens de la réanimation, ses difficultés, contraintes et souffrances engendrées. Là encore, en quelques semaines, le débat a probablement avancé dans une direction qu’il est difficile d’imaginer aujourd’hui mais qui laissera une empreinte dans l’esprit du grand public.

Néanmoins, les équipes soignantes de nos pays économiquement favorisés sont traumatisées d’être confrontés au triage des patients pour faire face à cette pandémie. Effectivement, les anesthésistes réanimateurs ont l’expérience des limitations thérapeutiques pour des projets inatteignables, afin de prévenir l’obstination déraisonnable. Dans la période actuelle, le manque de moyens et de matériels devient le facteur limitant face à l’incidence élevée des formes graves de la maladie. Comme il a été montré par les équipes italiennes, le taux mortalité des patients est associé à la mise à disposition des moyens. L’analyse a posteriori permettra de définir et modéliser les stratégies pour la mise à disposition et le déploiement des moyens nécessaires lors de la survenue de ces épidémies.

Quelles fins alternatives ?

Les hypothèses sont multiples selon les stratégies préalablement choisies. Deux solutions semblent envisagées : l’immunisation d’environ 75 % de la population ou la vaccination massive. La découverte et la fabrication d’un vaccin à grande échelle prendra au moins 18 mois. Il reste donc l’immunisation majoritaire de la population. Les pays ayant testé la population à grande échelle en isolant les cas positifs (Corée du sud, Japon, Singapour…) sont soucieux du temps nécessaire pour immuniser la population. Les pays ayant confiné massivement leur population (Chine à Hubei, Europe, USA…) devront sortir du confinement pour éviter un effondrement de l’économie et des pénuries des biens de première nécessité. Des modélisations de déconfinement graduées sont à l’étude, des épisodes de rebond étant prévisibles. Cette période peut-être plus ou moins longue en fonction de la levée des mesures de distanciation et de la vitesse de l’immunisation de la population, possiblement sur plusieurs mois.

Conclusion

La pandémie COVID-19, du fait de sa violence et de sa globalisation, a bouleversé l’équilibre planétaire mais avant tout l’ensemble du système de santé. La plasticité des équipes soignantes a permis de faire face à une première vague, mais selon les prédictions, il sera difficile de contenir l’ensemble de la crise. Cette crise a en fait été le révélateur d’un système de santé sous tension. Les mécanismes de solidarité entre les différentes régions, entre les systèmes publics, publics/privés et privés ont parfaitement fonctionné permettant d’amortir l’impact de la pandémie. Dans une vision positive, cette crise aura permis d’accélérer le débat nécessaire sur la pertinence des objectifs à fournir aux équipes soignantes, sur la relation entre le grand public et les services de soins critiques et sur les capacités éthiques de la société dans un moment critique.