Nom et affiliation du membre du CS ou du comité ayant rédigé le commentaire
De Queiroz Mathilde, Baudin Florent
Département d’Anesthésie-Réanimation Pédiatrique CHU Hôpital Femme Mère Enfant, Lyon

Titre original de l’article, auteurs, revue : Neurodevelopmental outcome at 5 years of age after general anaesthesia or awake-regional anaesthesia in infancy (GAS): an international, multicentre, randomised, controlled equivalence trial.
Mary Ellen McCann, Jurgen C de Graaff, Liam Dorris, Nicola Disma, Davinia Withington, Graham Bell, Anneke Grobler, Robyn Stargatt, Rodney W Hunt, Suzette J Sheppard, Jacki Marmor, Gaia Giribaldi, David C Bellinger, Penelope L Hartmann, Pollyanna Hardy, Geoff Frawley, Francesca Izzo, Britta S von Ungern Sternberg, Anne Lynn, Niall Wilton, Martin Mueller, David M Polaner, Anthony R Absalom, Peter Szmuk, Neil Morton, Charles Berde, Sulpicio Soriano, Andrew J Davidson, for the GAS Consortium*

Lancet 2019; 393: 664–77
 
Commentaires
 

  • Ce que nous savons déjà sur le sujet

Depuis une quinzaine d’années, de nombreux travaux expérimentaux sur des modèles animaux (rongeurs, primates) ont montré une neurotoxicité après exposition à un jeune âge à la plupart des agents anesthésiques 1,2. Cette neurotoxicité se traduit par une apoptose des cellules neuronales, une dysfonction de la neurogénèse et cliniquement par des troubles du comportement et des troubles de l’apprentissage. Les résultats de ces études expérimentales sont discutables pour une transposition au jeune enfant (posologies utilisées, durées d’exposition, absence de stimuli chirurgicaux). Les études cliniques, toutes rétrospectives, montrent des résultats contradictoires et l’existence de nombreux biais et facteurs confondants ne permettent pas d’établir une corrélation. Suite à ces études, la FDA a lancé une alerte sur l’anesthésie générale chez l’enfant de moins de 3 ans, entrainant le risque d’annulations chirurgicales 3,4. Les premiers résultats de l’étude GAS ont été publiés et montrent l’absence de différence entre les 2 groupes à l’âge de 2 ans 5.

 

  • Méthodes de l’étude analysée (incluant les critères de jugement)

Les auteurs ont réalisé une étude internationale, multicentrique, randomisée, d’équivalence comparant deux groupes de nouveau-nés de moins de 60 semaines d’âge d’aménorrhée, nés après 26 semaines et bénéficiant d’une chirurgie de hernie inguinale : un groupe recevait une anesthésie locorégionale (ALR) vigile (rachianesthésie ou caudale ou rachi + caudale) versus une anesthésie générale (AG) sans morphinique (sévoflurane + bloc ilio-inguinal et ilio-hypogastrique ou caudale ou infiltration chirurgicale)= AG + ALR. Le critère de jugement principal était la mesure de la capacité intellectuelle par le test de Wechsler Preschool and Primary Scale of Intelligence 3ème édition (WPPSI-III) permettant un score équivalent au quotient intellectuel (QI) à l’âge de 5 ans dont la moyenne est à 100 avec un écart-type de 15 points. Les autres critères de jugement étaient l’analyse par différents scores des fonctions d’acquisition, de l’existence de troubles des comportements à 2 ans et à 5 ans. Tout patient ayant eu un évènement durant le 3ème trimestre de grossesse ou en période néonatale ou ayant eu une pathologie pouvant entrainer des troubles du développement neurologique étaient exclu.

L’étude était réalisée avec une hypothèse d’équivalence. Le critère de jugement était analysé en per protocole (PP). L’analyse en intention de traiter (ITT) n’était pas réalisée en première intention du fait d’une proportion importante d’enfants du groupe ALR vigile qui passaient dans le groupe AG + ALR, suite à l’échec de la technique vigile. L’équivalence était définie comme une différence de +/- 5 points au test global WPPSI-III (intervalle de confiance à 95%).

 

  • Résultats principaux

Entre 2007 et 2013, 722 enfants ont été inclus (28 centres dans 7 pays différents), 363 dans le groupe ALR vigile et 359 dans le groupe AG + ALR. L’analyse PP portait sur 287 patients dans le groupe ALR vigile et 356 dans le groupe AG + ALR. L’analyse finale à 5 ans portait sur 205 enfants dans le groupe ALR vigile (91 perdus de vue) et 242 enfants dans le groupe AG (97 perdus de vue).

Après analyse en ITT et PP, les auteurs retrouvaient une équivalence entre les 2 groupes concernant le critère de jugement principal (IC 95% de la moyenne de la différence entre les 2 groupes compris dans la marge des +/- 5 points). Concernant les autres critères de jugement, ils ne retrouvaient pas de différence.

Parmi les autres résultats, les auteurs ne retrouvaient pas de différence significative sur les troubles du comportement rapportés par les parents.

 

  • Discussion synthétique intégrant les points forts et les limites de l’étude

Points forts :

  1. Étude prospective, multicentrique, randomisée avec une méthodologie robuste (notamment concernant les facteurs confondants) et un suivi à 5 ans;
  2. L’équivalence concernant le critère de jugement principal était définie par une différence faible (5 points au QI) ce qui renforce les résultats sachant que le WPPSI-III utilise une moyenne de 100 et un écart-type de 15;
  3. Anesthésie et monitorage « modernes » (utilisation du sévoflurane) contrairement aux autres études rétrospectives (halothane, hémodynamique non monitorée);
  4. Peu de perdus de vue;
  5. Chirurgie la plus fréquente chez les nourrissons donc un impact clinique majeur.

Limites :

  1. Le critère de jugement principal était le score WPPSI-III qui est un test global et composite. La décision d’utiliser un test global comme objectif principal repose sur l’hypothèse que la neurotoxicité a un impact global sur les fonctions neurocognitives. Il existe des sous-tests (échelle verbale, échelle de performance, langage général…) et d’autres tests. On peut donc admettre comme limite que l’atteinte de certaines fonctions spécifiques ne peut pas être détectée par ce test puisque l’hypothèse d’équivalence n’a pas été calculée pour chacun des tests et sous-tests. On ne peut donc pas affirmer l’absence de différence. Cependant, les auteurs concluent à une supposition raisonnable d’équivalence du fait que les limites supérieure et inférieure de l’IC 95% se trouvaient dans le 1/3 de la déviation standard (hypothèse spécifiée pour le critère de jugement principal);
  2. Concernant les diagnostics posés de troubles du comportement (type autisme, troubles de l’attention), la prévalence est trop faible et le diagnostic est parfois réalisé après 5 ans pour autoriser une conclusion. La population étudiée avait une prédominance d’enfants de sexe masculin.

Cette étude ne répond pas à plusieurs questions :

  • Y-a-t-il une relation entre de multiples anesthésies avant l’âge de 3 ans et des troubles du comportement ? Question soulevée par l’étude MASK (étude rétrospective, troubles du comportement rapportés par les parents)7;
  • Si l’exposition était réalisée à un âge différent de celui de cette étude, les résultats seraient-ils identiques ? Impossibilité à l’heure actuelle de définir des âges à haut risque ou des âges à faible risque;
  • L’utilisation d’association d‘autres agents anesthésiques et/ou une durée d’exposition plus importante au-delà de 2 heures modifieraient-elles les résultats de cette étude ?

 

  • Ce que cet article nous apporte

Cette étude nous permet d’affirmer qu’une exposition courte (< 2 heures) au sévoflurane chez des nouveau-nés n’entraine pas d’altération du test global de capacité intellectuelle à l’âge de 5 ans. Parmi les résultats (nombreux) de cette étude, il faut noter que l’incidence d’hypotension peropératoire est supérieure dans le groupe AG + ALR versus le groupe ALR vigile [6]. Il faut donc être vigilant au diagnostic et au traitement de cette hypotension lors d’une AG chez les nouveau-nés et rappeler que tous les paramètres monitorés doivent être maintenus dans les normes physiologiques, par un anesthésiste expérimenté (https://www.safetots.org/). Ainsi, pour cette population, il faut en permanence évaluer la balance bénéfice/risque d’une anesthésie et d’une chirurgie et le risque, probablement plus important, de reporter une chirurgie.

 

  • Références
  1. Jevtovic-Todorovic V, Hartman RE, Izumi Y, et al. Early exposure to common anesthetic agents causes widespread neurodegeneration in the developing rat brain and persistent learning deficits. J Neurosci 2003; 23: 876–82
  2. Vutskits L, Davidson A. Update on developmental anesthesia neurotoxicity. Curr Opin Anaesthesiol 2017; 30: 337–42
  3. US Food and Drug Administration. FDA Drug Safety Communication: FDA review results in new warnings about using general anesthetics and sedation drugs in young children and pregnant women. Dec 14, 2016. https://www.fda.gov/Drugs/DrugSafety/ucm532356.htm
  4. US Food and Drug Administration. FDA Drug Safety Communication: FDA approves label changes for use of general anesthetic and sedation drugs in young children. Apr 27, 2017. https://www.fda.gov/Drugs/DrugSafety/ucm554634.htm
  5. Davidson AJ, Disma N, de Graaff JC, et al. Neurodevelopmental outcome at 2 years of age after general anaesthesia and awake-regional anaesthesia in infancy (GAS): an international multicentre, randomised controlled trial. Lancet 2016; 387: 239–50
  6. McCann ME, Withington DE, Arnup SJ, et al. Differences in blood pressure in infants after general anesthesia compared to awake regional anesthesia (GAS study—a prospective randomized trial). Anesth Analg 2017; 125: 837–45
  7. Warner DO, Zaccariello MJ, Katusic SK, et al. Neuropsychological and behavioral outcomes after exposure of young children to procedures requiring general anesthesia: the Mayo Anesthesia Safety in Kids (MASK) study. Anesthesiology 2018 129: 89–105
  8. https://www.safetots.org/