Mis en ligne le 4 janvier 2016
Article du mois

Neurodevelopmental outcome at 2 years of age after general anaesthesia and awake-regional anaesthesia in infancy (GAS): an international multicentre, randomised controlled trial.

Davidson AJ, Disma N, de Graaff JC, Withington DE, Dorris L, Bell G, Stargatt R, Bellinger DC, Schuster T, Arnup SJ, Hardy P, Hunt RW, Takagi MJ, Giribaldi G, Hartmann PL, Salvo I, Morton NS, von Ungern Sternberg BS, Locatelli BG, Wilton N, Lynn A, Thomas JJ, Polaner D, Bagshaw O, Szmuk P, Absalom AR, Frawley G, Berde C, Ormond GD, Marmor J, McCann ME; GAS consortium. The Lancet 2015

Par Souhayl DAHMANI, pour le conseil scientifique de la société Française d’Anesthésie et de Réanimation.

Position du problème : la neurotoxicité des agents anesthésiques (et des conséquences de la période périopératoire de manière plus générale) sur le cerveau en développement ainsi que ses conséquences sur le développement neurocognitif à long terme, est une question qui anime les débat de la communauté anesthésique depuis plus de 10 ans (1). Expérimentalement, il a largement été démontré que des animaux nourrissons soumis à divers agents anesthésiques inhalatoires et intraveineux, à doses thérapeutiques, présentaient : une mort neuronale, des troubles de la dentrinogénèse, de la synamtogénèse et de la neurogénèse (2–5). Ces phénomènes étaient rendus responsables de troubles des fonctions cognitives à l’âge adulte chez ces animaux (6). Sur le plan clinique, nous ne disposons à ce jour que d’études rétrospective, qui compte tenu du délai entre la réalisation de l’anesthésie et l’évaluation sont grevés de grand biais (contexte socio-économique, événements de la vie, conséquences d’événements du péripartum…etc) (7–10). C’est dans ce contexte que s’inscrit cette étude contrôlée.

 

Méthode : Cette étude multicentrique internationale, randomisée contrôlée non aveugle était conçue pour étudier les troubles cognitifs postopératoires à 5 ans (objectif principal) après anesthésie par voie locorégionale (rachianesthésie, caudale, bloc ilio-inguinale ou associations) ou anesthésie générale (AG) sans morphiniques et sans protoxyde d’azote. La pression artérielle intraopératoire était maintenue pour que la baisse ne dépasse pas 20 % et la glycémie était monitorée en période périopératoire et les hypoglycémies traitées si nécessaire. Le protocole initial prévoyait une analyse intermédiaire des fonctions cognitives à 2 ans ainsi que l’étude des apnées postopératoires (déjà publié et que nous avons commenté précédemment). Les patients inclus avaient un âge corrigé < 60 semaines et étaient opérés d’une hernie inguinale avec ou sans circoncision. Ils étaient indemnes de pathologies cardiaques, neurologiques, d’anomalies chromosomiques ou de malformations. La randomisation était stratifiée pour équilibrer les patients en fonction de leur âge corrigé, de leur prématurité (ou non) et du centre. De plus des analyses en intention de traiter et en per protocole pour les patients du groupe ALR ayant reçu un complément de sédation ou une anesthésie générale étaient réalisées. Le développement neurologique était évalué par une échelle spécifique (Baylay-III) validée pour l’âge et réalisé par un psychologue qualifié. Cette échelle explorait les fonctions cognitives (attention, mémoire, développement sensitivomoteur et résolution de problèmes simples), le langage, la motricité, le développement socio-émotionnel et les comportements adaptatifs. L’échelle de MacArthur-Bates était utilisée pour explorer le développement de la communication.

L’analyse a été également conduite par introduction de cofacteurs dans l’analyse. Maternels : stéroïdes pendant la grossesse, chorioamniotite, âge maternel, niveau d’éducation maternel ; néonataux : prématurité, hémorragie intraventriculaire ; périopératoire : hypoglycémie, hypotension artérielle, apnée postopératoire ; réadmission à l’hôpital dans les 2 mois, paralysie cérébrale, surdité, cécité ou pathologies cérébrales (autisme en particulier). Une différence significative était définie par une différence de 5 points dans les différences à 95 % des scores.

Résultats : 361 patients étaient inclus dans le groupe ALR et 358 dans le groupe AG (intention de traiter). En analyse per protocole (patients ayant effectivement reçu la technique d’anesthésie prévue sans complément de sédation) 287 étaient dans le groupe ALR et 356 dans le groupe AG. Quatorze pourcent des patients étaient perdus de vue et 80 % des patients étaient de sexe masculin.

Les auteurs ne retrouvaient aucune différence entre les deux populations (aussi bien en intention de traiter ou en per protocole) concernant la proportion de prématurité, des données néonatales (pathologie maternelle, mode d’accouchement, pathologie fœtale ou scores apgar). Il n’y avait également pas de différence entre les deux populations concernant les données socio-éducatives de la mère ou le déroulement de l’anesthésie ou de la période postopératoire.

Concernant le développement neurocognitif, aucune différence n’était retrouvée sur l’analyse des composants de l’échelle de Bayley-III ou L’échelle de MacArthur-Bates. L’introduction des cofacteurs n’a pas permis de trouver des différences dans les scores et leur composants aussi bien en intention de traiter qu’en per-protocole.

Discussion : Cette étude est la première étude contrôlée sur le sujet apportant une réponse partielle sur un sujet polémique.

Les points forts de cette étude sont :

  • Caractère randomisé contrôlé et multicentrique
  • Standardisation du protocole d’anesthésie et surtout prise en compte dans ce protocole des événements susceptibles d’entrainer des neurologiques à long termes (hypotension artérielle (11) et hypoglycémie)
  • Robustesse de l’évaluation des fonctions cognitives
  • Prise en compte dans le protocole d’anesthésie et dans l’analyse des facteurs confondants et particulièrement de la prématurité, des facteurs éducatifs maternels, de l’hypotension intraopératoire et de l’hypoglycémie intraopératoire.

Les points faibles :

  • La puissance de l’étude qui n’était pas calculée pour cette évaluation
  • Les durées d’anesthésie courtes (< 60 mn) : ce qui ne permet pas de préjuger de durées plus longues : en particulier des études précédentes ont montré un effet temps-dépendant de la neurotoxicité des agents anesthésiques (10). Il faut toutefois noter que 50 % des interventions réalisées avant l’âge de 1 an durent moins que 60 mn.
  • Le déséquilibre en termes de sex-ratio : le sexe étant un élément discriminant dans la neurotoxicité et la neuroprotection.
  • Les résultats à ce stade ne préjugent pas de l’évolution future des fonctions cognitives même si une forte corrélation est retrouvée entre le quotient intellectuel à 5 ans et les résultats du test de Bayley-III.

Conclusion : cette étude, bien que délicate à interpréter, vient nous rassurer sur le potentiel neurotoxique des agents anesthésiques à deux ans quand ils sont administrés pour des durées courtes. Elle pourrait servir comme argument « rassurant » face aux interrogations des parents. Toutefois, rien n’est actuellement possible à affirmer ou infirmer concernant les troubles cognitifs après chirurgie néonatale tant que les résultats à 5 ans ne seront pas connus…. Prochain épisode en 2018 !

 

 

Références Bibliographiques

  1. Loepke AW, Soriano SG. An assessment of the effects of general anesthetics on developing brain structure and neurocognitive function. Anesth Analg. 2008 Jun;106(6):1681–707.
  2. Jevtovic-Todorovic V, Hartman RE, Izumi Y, Benshoff ND, Dikranian K, Zorumski CF, et al. Early exposure to common anesthetic agents causes widespread neurodegeneration in the developing rat brain and persistent learning deficits. J Neurosci Off J Soc Neurosci. 2003 Feb 1;23(3):876–82.
  3. De Roo M, Klauser P, Briner A, Nikonenko I, Mendez P, Dayer A, et al. Anesthetics rapidly promote synaptogenesis during a critical period of brain development. PloS One. 2009;4(9):e7043.
  4. Stratmann G, Sall JW, May LDV, Bell JS, Magnusson KR, Rau V, et al. Isoflurane differentially affects neurogenesis and long-term neurocognitive function in 60-day-old and 7-day-old rats. Anesthesiology. 2009 Apr;110(4):834–48.
  5. Wise-Faberowski L, Zhang H, Ing R, Pearlstein RD, Warner DS. Isoflurane-induced neuronal degeneration: an evaluation in organotypic hippocampal slice cultures. Anesth Analg. 2005 Sep;101(3):651–7, table of contents.
  6. Paule MG, Li M, Allen RR, Liu F, Zou X, Hotchkiss C, et al. Ketamine anesthesia during the first week of life can cause long-lasting cognitive deficits in rhesus monkeys. Neurotoxicol Teratol. 2011 Apr;33(2):220–30.
  7. Sprung J, Flick RP, Wilder RT, Katusic SK, Pike TL, Dingli M, et al. Anesthesia for cesarean delivery and learning disabilities in a population-based birth cohort. Anesthesiology. 2009 Aug;111(2):302–10.
  8. Block RI, Thomas JJ, Bayman EO, Choi JY, Kimble KK, Todd MM. Are anesthesia and surgery during infancy associated with altered academic performance during childhood? Anesthesiology. 2012 Sep;117(3):494–503.
  9. DiMaggio C, Sun LS, Li G. Early childhood exposure to anesthesia and risk of developmental and behavioral disorders in a sibling birth cohort. Anesth Analg. 2011 Nov;113(5):1143–51.
  10. Wilder RT, Flick RP, Sprung J, Katusic SK, Barbaresi WJ, Mickelson C, et al. Early exposure to anesthesia and learning disabilities in a population-based birth cohort. Anesthesiology. 2009 Apr;110(4):796–804.
  11. Michelet D, Arslan O, Hilly J, Mangalsuren N, Brasher C, Grace R, et al. Intraoperative changes in blood pressure associated with cerebral desaturation in infants. Paediatr Anaesth. 2015 Jul;25(7):681–8.