Article mois octobre
Pour le CS de la SFAR : Jean-Stéphane DAVID, Service d’Anesthésie Réanimation, Centre Hospitalier Lyon Sud, Hospices civils de Lyon, F69495 Pierre Bénite ; Faculté de Médecine Lyon Est, Université Claude Bernard – Lyon 1, 69008 Lyon.

ETUDE

Effect of Low-Dose Supplementation of Arginine Vasopressin on Need for Blood Product Transfusions in Patients with Trauma and Hemorrhagic Shock – Sims CA et al. JAMA Surgery 2019

QUESTION EVALUEE

Déterminer comment une supplémentation avec de faibles doses d’arginine-vasopressine (AVP) en cas d’état de choc hémorragique pourrait permettre de réduire l’utilisation de produits sanguins labiles.

CONTEXTE

Il existe en cas de choc hémorragique post traumatique un déficit précoce en AVP qui peut conduire à un phénomène de résistance aux catécholamines (Robin JK et al.) et l’AVP pourrait également favoriser la formation du caillot en stimulant les plaquettes.

TYPE D’ETUDE

Étude randomisée en double aveugle réalisée dans un centre de niveau 1, aux États-Unis du 1ier mai 2013 au 31 Mai 2017.

Population étudiée

Patients présentant un traumatisme sévère, âgés de 18 à 65 ans et recevant au moins 6 poches de produits sanguins labiles (CGR, PFC ou concentrés de plaquette) dans les 12 premières heures suivant le traumatisme. Les critères d’exclusion comprenaient, entre autres, les transferts inter-hospitaliers, le besoin de réanimation cardiopulmonaire préhospitalière, une thoracotomie d’hémostase à l’admission.

METHODES

Protocole

La randomisation informatique intervenait juste après l’administration de la 6ème poche avec un bolus de 4 unités (UI) d’AVP (ou placebo) suivi d’une perfusion continue de 0.04 UI/min d’AVP ou du volume équivalent de NaCl. La perfusion continue d’AVP (ou du placebo) était adaptée (0 à 0.04 UI/min) pour obtenir une PAM d’au moins 65 mmHg pendant 48h. Cette perfusion était débutée dès que le chirurgien décrétait l’hémostase faite. Au préalable, les patients recevaient des produits sanguins dans un ratio CGR:PFC:Plaquettes de 1:1:1 et si besoin des vasopresseurs traditionnels (noradrénaline). Il est à noter que ces vasopresseurs étaient arrêtés avant le début du protocole et recommencés si besoin ensuite, une fois la posologie maximum du protocole obtenue. Le remplissage vasculaire se faisait à la discrétion du praticien prenant en charge le patient.

Les effectifs par groupe ont été calculés en assumant une diminution d’au moins 50% du volume de produits sanguins total avec une puissance de 80%. Cette diminution espérée est issue d’une étude précédente et sur un volume moyen de produits sanguins administré de 5,5 litres (Cohn SM et al.).

Critères de jugement

  • Principal: Volume cumulé de produits sanguins (CGR, PFC et plaquettes) après l’inclusion ;
  • Secondaires: Volume total de cristalloïdes, pertes sanguines estimées, bilan entrée-sortie, utilisation des vasopresseurs en équivalent noradrénaline selon la formule suivante : noradrénaline (quantité, mg) + adrénaline (quantité, mg) + phényléphrine (quantité mg x 2,2) + éphédrine (quantité mg/80,9 x 0,4545). Le pronostic avec la mortalité à J30, la durée d’hospitalisation en réanimation, les défaillances rénales, SDRA, journées sans ventilation mécanique … étaient également rapportés. Enfin, les thromboses veineuses profondes étaient recherchées avec la réalisation d’un Doppler des membres inférieurs hebdomadaire les 3 premières semaines d’hospitalisation.

RESULTATS ESSENTIELS

Durant la période d’étude, il y a eu 3736 activations de l’équipe de traumatologie et 257 patients qui au moment de l’évaluation à l’admission avaient une hypotension (PAS £ 90 mmHg) ou besoin d’un CGR. Parmi eux, 100 ont été randomisés (49 dans le groupe AVP et 51 dans le groupe placebo). Il faut noter que 79 patients présentaient un traumatisme pénétrant. En ce qui concerne les données démographiques de base, les auteurs ne trouvent pas de différence significative même si l’on observe un score ISS (injury severity score) supérieur dans le groupe placebo (médiane 26 versus 19). Le tableau 2 rapporte les principaux résultats et l’on peut observer, en intention de traiter ou non, que le volume de produits sanguins à 48h est inférieur dans le groupe AVP par rapport au groupe placebo (médiane 3,0 litres versus 1,7 litres ; p=0,03) avec une diurèse supérieure dans le groupe AVP. A 48h, Il était observé une utilisation plus importante de vasopresseurs dans le groupe placebo sans que cette différence n’atteigne la significativité, mais surtout on observait une absence de différence sur tous les paramètres pronostiques (mortalité, SDRA …) sauf pour l’incidence de thromboses veineuses profondes, plus importante dans le groupe placebo.

COMMENTAIRES

L’AVERT Shock Trial est l’une des rares études portant sur l’utilisation des vasopresseurs dans le choc hémorragique post-traumatique.

Points forts

Les points forts de cette étude tiennent à sa méthodologie, à la typologie des patients recrutés qui sont difficiles à inclure dans ce type de travaux et au sujet étudié. Le principal résultat est important à prendre en compte car il est actuellement fortement suggéré de réduire l’utilisation des produits sanguins labiles en raison des nombreux effets secondaires en relation avec leur utilisation (TRALI, infection, TVP, défaillance multi-viscérale …).

Points faibles

Essentiellement en relation avec le faible nombre de patients inclus dans le travail, la proportion très importante de trauma pénétrant et le caractère monocentrique de l’étude, ce qui en limite la portée. Il n’y pas non plus de tendance ou de différence en ce qui concerne les critères durs que sont la mortalité ou les défaillances d’organe. Se pose également la question d’une gravité plus importante des patients du groupe placebo même si la différence pour l’ISS n’est pas significative.

Commentaire général sur le fond

Ce travail ouvre une piste intéressante quant à l’utilisation d’AVP dans le choc hémorragique post-traumatique en complément ou peut être à la place des vasopresseurs classiques, même s’il s’agit en l’occurrence d’une inclusion après l’administration de 6 poches de produits sanguin et que l’AVP (ou le placebo) sont administrés une fois l’hémorragie contrôlée. Il confirme des données animales précédemment publiées (Cossu AP et al.). Le mécanisme précis par lequel l’AVP permet de diminuer la transfusion reste cependant à éclaircir. Il faut également rester vigilant quant au risque de vasoconstriction intense lié à l’utilisation d’AVP ou de ses analogues. Enfin, comme toujours lors d’études réalisées en dehors de l’Europe de l’Ouest, il faut prendre en compte les différences significatives sur les stratégies de prise en charge des patients et l’utilisation des produits pharmaceutiques, comme par exemple l’acide tranexamique ou les concentrés de facteurs de coagulation. On note également que ce travail ouvre l’utilisation des vasopresseurs en Amérique du Nord alors que le dogme actuel et d’en contre-indiquer l’utilisation sous prétexte que la réponse doit être volémique (Sperry JL et al.).

CONCLUSIONS ET IMPLICATIONS POUR LA PRATIQUE

L’utilisation d’AVP permet dans ce travail de réduire de manière significative l’utilisation des produits sanguins labile mais, en dehors d’une réduction de l’incidence des TVP, n’entraine aucun bénéfice sur les critères durs habituellement retenus (mortalité, défaillances d’organes). Cela reste un résultat très intéressant qui s’inscrit dans la tendance actuelle de réduction de la transfusion et on peut considérer que c’est une piste de recherche qu’il faudra approfondir. En ce qui concerne une éventuelle implication clinique, l’AVP est disponible en France depuis peu de temps (Reverpleg®, Amomed Pharma) mais non remboursé. La place de l’AVP restera cependant à préciser dans le choc hémorragique post-traumatique, en complément ou à la place des catécholamines.

REFERENCES

  • Sims CA et al. Effect of low-dose supplementation of arginine vasopressin on need for blood product transfusions in patients with trauma and hemorrhagic shock: a randomized clinical trial. JAMA Surg 2019 ; published on August 28 [Epub ahead of print]
  • Cohn SM et al. Impact of low-dose vasopressin on trauma outcome: a prospective randomized study. World J Surg 2011; 35:435-9.
  • Robin JK et al. Vasopressin deficiency in the syndrome of irreversible shock. J Trauma 2003; 54: S149-S154.
  • Sperry JL et al. Early use of vasopressors after injury: Caution before constriction. J Trauma 2008; 64:9-14.
  • Cossu AP et al. Vasopressin in hemorrhagic shock: a systematic review and meta-analysis of randomized animal trials. Biomed Res Int 2014 ; 2014 : 421291.