JAMA 2019 doi:10.1001/jama.2018.14284

Radia El Khamali, RN; Atika Mouaci, RN; Sabine Valera, RN; Marion Cano-Chervel, RN; Camille Pinglis, RN; Céline Sanz, RN; Amel Allal, RN; Valérie Attard, RN; Julie Malardier, RN; Magali Delfino, RN; Fifina D’Anna, RN; Pierre Rostini, MD; Stéphan Aguilard, RN; Karine Berthias, RN; Béatrice Cresta, RN; Frédéric Iride, RN; Valérie Reynaud, RN; Jérémie Suard, RN; Wlady Syja, RN; Cécile Vankiersbilck, RN; Nicole Chevalier, RN; Karen Inthavong, RN; Jean-Marie Forel, MD; Karine Baumstarck, MD, PhD; Laurent Papazian, MD, PhD; for the SISTRESSREA Study Group

Article commenté par : Thomas GODET et Mathilde BABUT (CHU de Clermont-Ferrand) pour le comité IDE de la SFAR

Contexte

Les services de Réanimation, les Unités de Soins Continus ou Intensifs, les Urgences et les SAMU-SMUR accueillent quotidiennement des patients en état critique qui nécessitent des soins hautement techniques dont la réalisation urgente peut jouer sur leur devenir, parfois à très court terme.

Les personnels paramédicaux et médicaux sont très fréquemment sujets à des états de stress chronique. Les infirmières diplômées d’état (IDE) et aides-soignantes (AS) restent de fait peu longtemps dans ces services.

De véritables états de stress post-traumatiques, identiques à ceux décrits par les soldats américains de retour d’Irak, ont été décrits. Classiquement, ce personnel est soumis à des états anxio-dépressifs et sont plus souvent en burnout que le reste de la population active. Un impact direct sur la qualité de vie de ces professionnels est de fait retrouvé. De plus, la qualité des soins apportés aux patients et l’ambiance sur leur lieu de travail en sont également grandement impactés.

Rechercher des méthodes de réduction de ces états de stress psychologiques est donc primordial.

La formation et l’enseignement, notamment en utilisant l’outil qu’est la simulation sont des pistes séduisantes et prometteuses.

Question clinique

L’objectif de cette étude menée par l’équipe paramédicale marseillaise (Médecine Intensive et Réanimation, Pr Papazian, Hôpital Nord) était de déterminer si la mise en place d’un programme multimodal d’éducation basé sur de la mise en pratique lors de situation clinique variées à l’aide d’exercices utilisant la simulation par petits groupes de 6 IDE permettait de réduire le stress au travail en comparaison avec un groupe contrôle.

Le critère de jugement principal était une évaluation du stress au travail évalué à 6 mois à l’aide d’un questionnaire qui permettait d’évaluer le niveau de détresse psychologique et les perturbations dans les prises de décision (Job Content Questionnaire).

Les critères de jugement secondaires comprenaient notamment d’autres facettes du stress au travail comme l’absentéisme, et le turnover paramédical à 6 et 12 mois, ainsi que d’autres facteurs psychosociaux en lien avec le travail, évalués par le questionnaire COPSOQ (Copenhagen Psychosocial Questionnaire).

Matériel et méthodes

Il s’agit d’une étude multicentrique, randomisée, contrôlée, en groupes parallèles, en ouvert, conduite dans 8 services de réanimation adultes en France sur une période de 1 an, et portant sur 198 IDE. Les inclusions ont eu lieu entre février 2016 et avril 2017. Ce protocole de recherche paramédicale a bénéficié d’un financement par le PHRIP (Programme Hospitalier de Recherche Infirmière et Paramédicale financé par le Ministère de la Santé) obtenu en 2014.

Critères d’inclusion :

Les critères d’inclusion des IDE étaient : (1) travailler activement dans une unité de réanimation pour adultes, (2) détenir un diplôme d’infirmière reconnu par l’état et (3) avoir au moins six mois d’expérience dans l’unité actuelle. L’échantillon se composait d’infirmières diplômées travaillant de jour et de nuit dans l’une des huit unités de réanimation participant à l’essai.

Critères de non-inclusion :

Les critères de non-inclusion étaient les suivants : (1) travail actuel en dehors de l’unité de réanimation, (2) en congé maternité ou maladie, (3) projetant de quitter l’unité actuelle, ou (4) ayant déjà participé aux exercices de simulation avant le début de l’essai.

Intervention :

Les participants ont été randomisés en 2 groupes.

  • Groupe « interventionnel » : la moitié des participants ont bénéficié d’un programme multimodal d’éducation basé sur des formations sur une période de 5 jours, en équipe de 6, qui comprenaient des cours théoriques le premier jour puis les 3 matinées suivantes. Durant les après-midis, les participants bénéficiaient de séances de simulation haute-fidélité dont les scenarii concernaient des cas cliniques de patients en état critique, qui étaient suivis de séances de débriefing sur la situation et sa prise en charge, en se basant sur les règles de bonnes pratiques infirmières adaptées.
  • Groupe « contrôle » : aucune formation basée sur la mise en pratique de scénarii lors de séances de simulation haute-fidélité.

Les participants devaient répondre à plusieurs questionnaires (JCQ et CPOSOQ) durant les 2 premières heures de leur prise de poste, après 2 jours consécutifs de travail. Tous les questionnaires étaient anonymisés à l’aide d’un identifiant unique permettant de maintenir la confidentialité.

Le nombre de sujets nécessaires a été déterminé à partir de l’incidence du stress au travail. La prévalence est de 23 % chez les travailleurs français en général, alors qu’elle est de 60 % chez les infirmières françaises. Étant donné qu’aucun essai clinique randomisé n’avait examiné l’effet d’une intervention sur la réduction du stress au travail dans cette population, une réduction cliniquement significative de 15 % de la prévalence a été arbitrairement choisie.

Un échantillon de 188 participants par groupe était nécessaire pour détecter une différence absolue entre les groupes de 15 points de pourcentage (réduction relative de 25 % ; 60 % pour le groupe contrôle et 45 % pour le groupe interventionnel) et comprenait une analyse intermédiaire après inclusion de 50 % des participants avec une puissance de 80 %.

Principaux résultats

L’étude a été arrêtée prématurément pour efficacité après l’analyse intermédiaire. Ont été inclus 198 IDE qui ont complété le questionnaire du critère de jugement principal (95 (48%) âgés de moins de 30 ans, 115 (58%) de sexe féminin). Aucun IDE n’a refusé de participer à l’étude. 101 ont été inclus dans le groupe interventionnel et 98 dans le groupe contrôle. Les IDE inclus dans le groupe interventionnel ont tous réalisé les 5 jours du programme de formation. Les groupes étaient comparables sauf pour le statut marital (46% de célibataires dans le groupe interventionnel contre 62% dans le groupe contrôle).

La prévalence du stress au travail à 6 mois était plus faible dans le groupe interventionnel (13% ; IC 95%, 6-20%) que dans le groupe témoin (67% ; IC 95%, 58-76%) (différence entre les groupes, 54% [IC 95%, 40-64%], P < 0.001). Ni le statut marital, ni le travail de nuit n’étaient associés au stress au travail.

L’absentéisme à 6 mois était de 1 % dans le groupe interventionnel contre 8 % dans le groupe contrôle (différence entre les groupes, 7 % [IC 95%, 1-15%], P = 0.03).

De plus, 4 IDE (4 %) du groupe interventionnel ont quitté l’unité de réanimation au cours du suivi à 6 mois, comparativement à 12 (12 %) du groupe contrôle (différence entre les groupes, 8% [IC 95%, 0-17%], P = 0.04).

L’ampleur de la diminution du score de charge psychosociale était plus grande à 6 mois dans le groupe interventionnel par rapport au groupe contrôle (différence moyenne, -55 [IC 95%, -6.7 à -4.3] vs -0.7 [IC 95%, -1.8 à 0.4] respectivement ; différence moyenne entre groupes, -4.8[IC à 95 %, -6.4 à -3.2], P<0.001).

En ce qui concerne les différentes dimensions évaluées par la COPSOQ, les IDE du groupe interventionnel ont obtenu de meilleurs résultats à 6 mois que celles du groupe contrôle.

La satisfaction au travail était meilleure dans le groupe interventionnel par rapport au groupe contrôle (note moyenne [écart-type], de 82.5[25.5] vs 54.9[30.3], respectivement ; différence moyenne entre les groupes, 27.6[IC 95 %, 19.3-35.9], P < 0.001).  De plus, les symptômes d’épuisement professionnel (burnout) étaient moins présents dans le groupe interventionnel que dans le groupe contrôle (score moyen [écart-type], 87.4[23.7] vs 51.2[29.3], respectivement ; différence moyenne entre les groupes, 36.2[IC 95%, 28.3-44.1], P = 0.001).

Discussion

Cette étude de grande envergure démontre le bénéfice de l’utilisation de la simulation haute fidélité pour diminuer le stress au travail des IDE de réanimation, en les formant aux situations critiques qui peuvent survenir en réanimation (détresse respiratoire, arrêt cardiaque, choc hémorragique…).

De plus, il semble que ces formations soient bénéfiques en termes d’absentéisme, de satisfaction au travail et de burnout.

Retranscrit en coût pour les établissements hospitaliers ces formations (dont le coût a été évalué à 2000€ par IDE, semble permettre des économies en personnel, comme cela a été précisé dans un éditorial accompagnant l’article.

La simulation haute fidélité connait un essor majeur aussi bien dans le domaine médical que dans les entreprises quel que soit leur spécialisation, tout comme cela existe depuis de nombreuses années dans le monde de l’aviation -qui sert d’ailleurs d’exemple-.

Points forts :

  • Première étude multicentrique randomisée contrôlée sur le sujet
  • Grand nombre de sujets inclus
  • Méthodologie robuste
  • Analyse en intention de traiter
  • Equipe reconnue
  • Programme de formation par la simulation haute-fidélité de qualité répondant aux exigences pédagogiques françaises
  • Applicabilité directe aux réanimations et au système de santé français

Points faibles :

  • Absence de double aveugle (qui aurait bien entendu été impossible)
  • Recrutement d’IDE de services de Médecine Intensive et Réanimation exclusivement
  • Absence d’information concernant l’impact sur les soins apportés aux patients
  • Absence d’information concernant la nécessité de reconduire à distance le programme de formation
  • Possible biais de contamination des IDE du groupe contrôle par celle du groupe interventionnel au sein d’une même unité de réanimation
  • Absence de standardisation du groupe contrôle qui dépend des pratiques de chaque unité

Conclusion

Un programme de formation aux situations stressantes en unité de réanimation basé sur l’outil de simulation haute-fidélité semble pouvoir améliorer la qualité de vie au travail, et au quotidien des IDE de ces unités. La plupart des services d’USC et de réanimation devraient pouvoir mettre en œuvre ce type d’initiative, probablement avec l’appui de l’administration puisqu’un bénéfice en termes de coûts liés au personnel semble possible. A vous de jouer !