Anesthésie enfant

Nom et affiliation du membre du CS ou du comité ayant rédigé le commentaire

Mathilde De Queiroz, Eloise Cercueil

Département d’Anesthésie-Réanimation Pédiatrique, Hôpital Femme Mère Enfant, Lyon

 

Titre original de l’article, auteurs, revue

Effect of Albuterol Premedication vs Placebo on the Occurrence of Respiratory Adverse Events in Children Undergoing Tonsillectomies. The REACT Randomized Clinical Trial.

 

Britta S. von Ungern-Sternberg, MD, PhD; David Sommerfield, MD; Lliana Slevin, BSc;

Thomas F. E. Drake-Brockman, BPhil; Guicheng Zhang, PhD; Graham L. Hall, PhD

JAMA Pediatr. doi:10.1001/jamapediatrics.2019.0788

Published online April 22, 2019.

 

Ce que nous savons déjà sur le sujet

L’amygdalectomie est une des chirurgies les plus fréquemment pratiquées en Europe [1]. Différentes études retrouvent cette chirurgie comme facteur de risque de complications respiratoires, qu’elles soient mineures (toux, obstruction) ou majeures (laryngospasme, bronchospasme, désaturation) [2,3]. Les autres facteurs de risque sont l’infection récente et/ou récurrente des voies aériennes supérieures (VAS), une hyperréactivité bronchique ; facteurs majoritairement présents chez les enfants devant bénéficier d’une amygdalectomie. L’administration des β2 mimétiques en prémédication a été proposée pour diminuer ces complications respiratoires chez les enfants présentant une hyperréactivité bronchique [4]. Les recommandations françaises suggèrent l’administration de salbutamol chez les enfants de moins de 6 ans présentant une infection récente des voies aériennes supérieures afin de diminuer les complications respiratoires (grade2+, accord fort) [5].

L’hypothèse formulée par les auteurs était que l’administration d’un β2 mimétique pourrait diminuer de 50% les complications respiratoires versus un placebo.

 

Méthodes de l’étude analysée (incluant les critères de jugement)

Etude monocentrique, randomisée en triple aveugle, incluant les enfants de 0 à 8 ans bénéficiant d’une amygdalectomie +/- adénoïdectomie +/- pose d’aérateurs transtympaniques. Une stratification était initialement prévue sur l’utilisation d’un dispositif supra-glottique (enfants de 3 à 8 ans) ou d’une sonde d’intubation trachéale (enfants de 0 à 6 ans). Les critères d’exclusion étaient : cardiopathie, pathologie malformative pulmonaire, prémédication au midazolam, malformation des VAS. D’autres facteurs de risque de complication respiratoire étaient colligés tel que le syndrome d’apnée obstructif du sommeil, infections récentes des VAS, sibilants, asthme, toux nocturne, tabagisme passif, antécédents familiaux d’asthme ou d’eczéma. De même, les enfants ayant reçu une prémédication par midazolam étaient exclus en raison d’un risque majoré d’effets indésirables respiratoires.

Les enfants étaient randomisés en triple aveugle entre 2 groupes : administration de salbutamol (groupe S) à la dose de 200 µg ou d’un placebo (groupe P) via une chambre d’inhalation adaptée à l’âge du patient, 20 minutes avant l’induction anesthésique. L’induction anesthésique était réalisée par voie inhalée ou intraveineuse, le management des VAS était laissé à la discrétion de l’anesthésiste en charge (masque laryngé ou sonde d’intubation).

Le critère de jugement principal était l’incidence d’événements indésirables respiratoires déclarés par le médecin anesthésiste et/ou l’infirmier de salle de surveillance post-interventionnelle (laryngospasme, bronchospasme, désaturation < 95%, obstruction des VAS, toux > 10 secondes, stridor).

Une analyse secondaire post hoc a été réalisée afin d’évaluer l’incidence respective de chaque évènement respiratoire ainsi que l’effet de la présence et la sévérité d’un syndrome d’apnée obstructif du sommeil sur l’incidence de ces évènements.

 

Résultats principaux

484 patients ont été randomisés et les données de 479 patients (241 dans le groupe salbutamol et 238 dans le groupe placebo) étaient disponibles pour l’analyse principale. L’âge médian était de 5,6 [1,6- 8,9] ans. Les données démographiques étaient similaires dans les 2 groupes. La technique d’induction, le mangement des VAS (majorité de masque laryngé), les facteurs de risque de complication respiratoire, la présence et la sévérité du SAOS étaient également similaires.

Au moins un événement respiratoire survenait chez 67 enfants (27.8%) du groupe S et chez 114 (47.9%) dans le groupe P. Les enfants du groupe placebo avait un risque 2,4 fois supérieur de développer un  évènement respiratoire que les enfants du groupe salbutamol (OR : 2,4 [IC 95% : 1,6-3,5]). Une différence statistiquement significative était identifiée concernant la prévalence du laryngospasme (28 [11,8%] vs 12 [5,0%]; P = 0,009), de la toux  (79 [33,2%] vs 27 [11,2%]; P < 0,001), et des désaturations (54 [22,7%] vs 36 [14,9%]; P=0,03). Tous les 5 enfants opérés d’une amygdalectomie et traités par un aérosol de salbutamol, 1 événement respiratoire était évité (NTT : 4,8 [IC 95% : 8,6-3,5]). La diminution des complications respiratoires est significative durant l’induction et le réveil. Par contre, il n’y a pas  de réduction significative du bronchospasme, de l’obstruction et du stridor.

La présence et la sévérité du SAOS  et l’utilisation d’une sonde d’intubation étaient associés à une augmentation du risque d’évènements respiratoires. L’ajustement sur ces covariables ne modifiait pas la réduction du risque d’événement respiratoire (ORa : 2,8 [IC 95% : 1,9-4,2]). Aucun effet indésirable grave ou inattendu n’a été signalé.

 

Discussion synthétique intégrant les points forts et les limites de l’étude

Points forts : Méthodologie robuste puisqu’il s’agit d’une étude randomisée en triple aveugle réalisée par une équipe qui a de nombreuses publications dans le domaine. L’hypothèse initiale était une réduction importante (50%) des événements respiratoires ; les résultats sont donc d’autant plus significatifs. L’implication clinique est majeure du fait de l’incidence élevée des complications respiratoires lors de cette chirurgie. D’autant plus que l’administration de salbutamol est simple, non invasive, de faible coût et sans effet secondaire grave attendu.

Limites : C’est une étude monocentrique avec un protocole d’anesthésie standardisé qui peut être différent de la pratique française, notamment concernant la gestion des VAS. En effet, un masque laryngé était majoritairement le choix de l’anesthésiste. En France, il est recommandé d’utiliser une sonde d’intubation orotrachéale [5].

L’incidence des complications respiratoires, quel que soit le groupe, rapportée dans cette étude parait élevée par rapport à d’autres études. Ceci est expliqué par le type de complications recueillies. En effet, les auteurs ont pris le parti de recueillir tous les types de complications qu’elles soient mineures comme la toux ou l’obstruction, ou majeures comme le laryngospasme et le bronchospasme. L’incidence de ces dernières est en rapport avec les données de la littérature (1,5 à 10%) [6,7]. Cependant, l’administration de salbutamol permet de réduire de façon significative l’incidence du laryngospasme, complication majeure la plus fréquente.

Le dépistage d’un SAOS ainsi que l’évaluation de sa sévérité étaient réalisés par l’anesthésiste (et non par une polysomnographie, méthode de référence, cependant peu accessible en pratique) mais la méthodologie n’est pas renseignée par les auteurs (questionnaire standardisé, validé ?).

L’incidence du bronchospasme n’était pas diminuée par l’administration de salbutamol, contrairement à ce qui aurait pu être attendu. Ce résultat peut être expliqué par l’incidence faible de cette complication dans cette étude (1 dans le groupe S et 2 dans le groupe P). Il serait intéressant d’avoir un effectif plus important pour évaluer l’impact sur cette CR en particulier. Il aurait été également intéressant d’avoir le nombre d’intervention nécessaire pour traiter les CR (ventilation, oxygénothérapie, approfondissement de l’anesthésie..) dans chaque groupe.

Cette étude a inclus les enfants de moins de 8 ans. Les données de cette étude ne peuvent extrapolées aux enfants plus âgés, sachant que les recommandations françaises ont mis un âge limite à 6 ans pour la prémédication au salbutamol pour prévenir les complications respiratoires.

 

Ce que cet article nous apporte

L’administration avant l’induction anesthésique de salbutamol aux enfants de moins de 8 ans bénéficiant d’une amygdalectomie, d’autant plus s’ils présentent un SAOS modéré à sévère, permet de réduire de façon significative les complications respiratoires périopératoires. Le salbutamol devrait donc faire partie des stratégies permettant de réduire les complications respiratoires dans cette population.

Les recommandations françaises sur l’administration pré anesthésique de salbutamol s’adressent aux enfants ayant des antécédents récents d’infections respiratoires. Cette étude élargit la population pouvant bénéficier de cette stratégie et pousse à l’utilisation plus systématique d’une administration pré anesthésique de salbutamol pour diminuer les complications respiratoires chez les enfants de moins de 8 ans.

 

Références

[1] Habre W, Disma N, Virag K, et al. Incidence of severe critical events in paediatric anaesthesia (APRICOT): a prospective multicenter observational study in 261 hospitals in Europe. Lancet Respir Med 2017 5:412–425.

[2] Murat I, Constant I, Maud’huy H. Perioperative anaesthetic morbidity in children: a database of 24,165 anaesthetics over a 30-month period.Paediatr Anaesth 2004; 14:158–166.

[3] Von Ungern-Sternberg BS, Boda K, Chambers NA, et al. Risk assessment for respiratory complications in paediatric anaesthesia: a prospective cohort study. Lancet 2010; 376:773–783.

[4] Scalfaro P, Sly PD, Sims C, Habre W. Salbutamol prevents the increase of respiratory resistance caused by tracheal intubation during se´voflurane anesthesia in asthmatic children. Anesth Analg 2001;93:898–902

[5] Dadure C, et al. Management of the child’s airway under anaesthesia: The French guidelines. Anaesth Crit Care Pain Med 2019

[6] Virag KBecke KHansen TGJöhr MLeva BMorton NSVermeulen PMZielinska MBoda KVeyckemans FAPRICOT Group of the European Society of Anaesthesiology Clinical Trial Network Incidence of severe critical events in paediatric anaesthesia (APRICOT): a prospective multicentre observational study in 261 hospitals in Europe. Lancet Respir Med. 2017 May;5(5):412-425. doi: 10.1016/S2213-2600(17)30116-9.

[7] Britta S. von Ungern-Sternberg, Kylie Davies, Mary Hegarty, Thomas O. Erb and Walid Habre The effect of deep vs. awake extubation on respiratory complications in high-risk children undergoing adenotonsillectomy A randomised controlled trial Eur J Anaesthesiol 2013