Mis en ligne le 18 mai 2016
Article du mois

Giacomo Bellani, et al. for the LUNG SAFE Investigators and the ESICM Trials Group

Analyse faite par Thomas GEERAERTS et Louis DELAMARRE, CHU de Toulouse, pour le comité Réanimation de la SFAR

Introduction :

Depuis la première description du syndrome de détresse respiratoire aigue (SDRA) faite par Ashbaugh en 1967, de nombreux progrès ont été faits dans la connaissance de la physiopathologie, dans le diagnostic et le traitement de cette pathologie, mais peu de données sont disponibles sur son l’incidence et le pronostic des patients atteints de SDRA. De même, il semble exister une hétérogénéité dans la prise en charge de ces patients en réanimation et une description détaillée de la prise en charge actuelle de ces patients serait intéressante.

Objectifs de l’étude :

Evaluer l’incidence du SDRA dans les services de réanimation et le devenir des patients, ainsi les modalités diagnostiques et les mesures thérapeutiques appliquées.

Matériels et méthodes :  

Cette étude de cohorte prospective, multicentrique internationale a été menée en 2014 pendant 4 semaines d’hiver (février-mars dans hémisphère nord, juin-aout dans l’hémisphère sud) dans des réanimations de 50 pays, sur les cinq continents. Pendant cette période étaient inclus tous les patients de plus de 16 ans admis en réanimation et pour lesquels un consentement a pu être recueilli. La survenue d’une défaillance respiratoire hypoxémique était définie selon les critères suivants : rapport PaO2/FiO2<300 mmHg, avec nouvelle anomalie parenchymateuse pulmonaire à l’imagerie, et assistance ventilatoire avec PEEP supérieure ou égale à 5 cmH20.

Le pronostic des patients était défini comme le délai avant le sevrage de la ventilation mécanique et le statut à la sortie de réanimation, de l’hôpital ou à J90.

Le SDRA était détecté selon les critères de Berlin au moyen d’un algorithme informatique utilisant les données brutes issues des dossiers des patients.

 

Résultats principaux :

459 services de réanimation ont participé à l’étude, totalisant 12 906 patients bénéficiant d’une assistance ventilatoire dont les données ont été analysées.

Une défaillance respiratoire hypoxique a été observée chez 4 499 patients, dont 3 022 (67,2%) ont été diagnostiquées comme SDRA.

Incidence et diagnostic : Le SDRA représentait 10,4% (95% IC : 10,0-10,7%) du total des admissions en réanimation. Cela représentait 0,42 cas / lit de réanimation sur les 4 semaines de l’étude.

Le SDRA était reconnu par les cliniciens dans environ 60% des cas. Le taux de reconnaissance variait significativement avec la sévérité, de 51% pour les SDRA modérés à 78% pour les sévères.

Les facteurs associés avec une meilleure reconnaissance du SDRA étaient un faible ratio patient/personnel, le jeune âge du patient, un rapport PaO2/FiO2 bas, la présence d’une pneumopathie ou d’une pancréatite. La défaillance cardiaque ou l’absence de facteurs de risques de SDRA étaient associés à un moindre diagnostic.

Sévérité du SDRA : Sur la période étudiée, 30,0% des SDRA était considérés comme légers (95% CI : 28,2%-31,9%), 46,6% comme modérés (95% CI : 44,5%-48,6%) et 23,4% sévères (95% CI : 21,7%-25,2%).

Les patients avec les SDRA les plus sévères semblaient plus jeunes, avec moins de comorbidités, mais avec des scores de défaillance d’organe plus élevés.

Prise en charge ventilatoire :

35% des patients en SDRA recevaient un Vt > 8 ml/kg et 82% une PEEP < 12cmH20. Une ventilation protectrice était appliquée chez 2/3 des patients pour lesquels la pression de plateau était mesurée.

Chez les patients présentant un SDRA selon les critères de Berlin, le volume courant (Vt) moyen variait peu mais avec tout de même une différence significative si le diagnostic de SDRA avait été porté par le clinicien (7,5 ml/kg, 95% IC : 7,4-7,6 pour le groupe diagnostic posé contre 7,7 ml/kg, 95% IC : 7,6-7,9 pour le groupe diagnostic non posé, p=0,01).

La PEEP moyenne était de 8,9 cm H20 (95% IC : 8,8-9,1) en cas de diagnostic contre 7,5 cm H20 (95% IC : 7,3-7,7) chez les autres (p=0,001). Les cliniciens qui établissaient le diagnostic de SDRA avaient plus souvent recours aux traitements adjuvants (43,9% contre 21,7%, p<0,001). Après ajustement, le diagnostic clinique de SDRA n’était pas associé à une réduction du volume courant mais à une PEEP plus élevée, un recours plus important aux curares et au décubitus ventral. Chez les patients en SDRA sévère, la curarisation était utilisée dans environ 38% des cas, le décubitus ventral dans 16% et les manœuvres de recrutement dans 33% des cas.

Pronostic : Le SDRA sévère était associé à une plus faible probabilité de ventilation sans assistance et une plus faible survie à J28. La mortalité hospitalière était de 34,9% (95% IC : 31,4-38,5%) pour les SDRA légers, 40,3% (95% IC : 37,4-43,3%) pour les modérés et 46,1% (95% IC : 41,9-50,4%) pour les SDRA sévères. Les patients avec une pression motrice > 14 cmH20 à J1 avaient un pronostic plus défavorable.

Points forts :

  • Cet article permet une « photographie » de l’épidémiologie du SDRA, de son diagnostic, des traitements mis en œuvre et de son pronostic en en 2014. Il en ressort que le SDRA est associé à une mortalité élevée (environ 40%). Il est par ailleurs sous-diagnostiqué (60% seulement des SDRA sont reconnus sans aide informatique).
  • Les données suggèrent aussi que l’optimisation ventilatoire et les thérapeutiques adjuvantes sont largement sous-utilisés. Enfin, il existe peu de différences thérapeutiques entre les patients dont le SDRA est diagnostiqué ou non.
  • La force de ce papier tient à l’utilisation des données brutes interprétées par un algorithme informatique pour identifier les patients en SDRA et analyser les diagnostics portés par les cliniciens. Cela peut expliquer la forte prévalence du SDRA observée, environ deux fois supérieure à celle attendue par les auteurs. Le taux de diagnostic des SDRA est faible (60% des SDRA), et 20% des SDRA sévères restent non-diagnostiqués.
  • Cette analyse apporte également un éclairage sur les facteurs associés à la reconnaissance du SDRA, qui tiennent à la fois des caractéristiques du patient et de l’organisation des services de réanimation. Ces données sont cohérentes avec celles déjà décrites dans la littérature. Elles montrent par ailleurs l’intérêt potentiel d’outils informatiques de suivi ou de diagnostic, déjà discutés par ailleurs 1,2. Plusieurs auteurs suggèrent le rôle de la surcharge d’information dans l’errance diagnostique quotidienne en réanimation.
  • En ce qui concerne la prise en charge des patients en SDRA, il en ressort que le diagnostic clinique n’est associée qu’à une faible réduction du Vt, mais à une utilisation plus large de la PEEP, de curares et de décubitus ventral. Le SDRA semble sous-traité avec une adaptation insuffisante de la ventilation mécanique : 40% des patients environ étaient en effet ventilés avec un Vt > 8ml/kg. Seuls 40% des patients bénéficiaient d’un monitorage de la pression de plateau.
  • L’utilisation des thérapeutiques adjuvantes semble toute aussi insuffisante, avec l’absence de curarisation ou de manoeuvres de recrutement chez environ 60% des patients en SDRA sévères et seulement 16% bénéficiant de décubitus ventral. L’utilisation de ces thérapeutiques ne semblait pas basée sur les données de la littérature, les corticoïdes ou le monoxyde d’azote étant plus utilisés que le décubitus ventral, notamment.
  • Enfin, cette étude confirme la place confirmée récemment 3,4 de la pression motrice comme un des déterminant majeur du pronostic des patients en SDRA, malgré le faible nombre de patients chez qui la pression de plateau était mesurée.

Points faibles :

  • L’incidence du SDRA n’a pas pu être calculée car il n’a pas été possible aux auteurs de calculer la population exacte desservie par ces différents services de réanimation, un point qui aurait peut-être pu être relevé à la construction de l’étude.
  • En raison de la période hivernale choisie pour recueillir ces données, ces résultats pourraient surestimer la prévalence du SDRA.
  • Comme le suggèrent les auteurs, il peut exister un biais de sélection à l’encontre des réanimations participantes et un effet Hawthorne, conduisant à une surestimation du SDRA. Néanmoins il semble que ces résultats soient concordants avec d’autres études, rétrospectives, déjà publiées et confirment donc la valeur prédictive des critères de Berlin 5.
  • Enfin le recueil de données souffre de l’absence d’information concernant le statut hémodynamique de ces patients, que ce soit au regard de la stratégie de remplissage vasculaire ou de la fonction cardiaque droite, dont le rôle dans le pronostic des patients est de plus en plus décrit 4,6,7. Il aurait été intéressant de croiser les données de pression motrice et de dysfonction ventriculaire droite sur le pronostic dans une large population de patient en SDRA.

 

Que retenir ?

La prévalence du SDRA est d’environ 10% dans les services de réanimation étudiés. Le SDRA est associé à une mortalité en réanimation de 35% environ.

Il apparait que ce syndrome est sous-diagnostiqué (40% des SDRA ne sont pas diagnostiqués, y compris pour les cas les plus sévères avec 20% de sous-détection pour les SDRA sévères), avec un retard au diagnostic dans 70% des cas environ. Le SDRA reste sous-traité dans cette cohorte, sans priorisation des traitements ayant démontré leur efficacité (manoeuvres de recrutement, curares et décubitus ventral).

Il reste donc beaucoup à faire pour améliorer le diagnostic et la prise en charge thérapeutiques du SDRA, dont des moyens peu onéreux sont largement disponibles. La place des outils informatiques d’aide au diagnostic reste à définir mais semble intéressante pour améliorer la détection des SDRA.

Références :

  1. Herasevich V. Intensive Care Med. 2009;35(6):1018-1023
  2. Koenig HC. Crit Care Med. 2011;39(1):98-104
  3. Amato MB. N Engl J Med. 2015;372(8):747-755
  4. Mekontso Dessap A. Intensive Care Med. 2016;42(5):862-870
  5. Bersten AD. Am J Respir Crit Care Med. 2002;165(4) :443-448
  6. Repessé X. Chest. 2015;147(1):259-265
  7. Guerin C. Intensive Care Med. 2016;42(5):934-936