COVID-19 Excess Mortality Collaborators. Lancet 2022; 399: 1513–36

Commente par le Dr. Aurelie Gouel.

Contexte de l’étude

Estimer le nombre réel de décès liés à la pandémie de COVID-19 n’est pas une chose aisée. L’OMS a estimé à 3 millions l’excès de décès dû au COVID-19 en 2020, sans analyse des disparités géographiques. De nombreuses études se sont attachées à examiner des périodes ou des pays spécifiques. Certains modèles statistiques ont proposé d’estimer cette mortalité en se basant sur les taux et les tendances antérieurs de la mortalité toute cause confondue. L’une des limites de ces modèles est qu’ils se basent sur des effets fixes de la mortalité en fonction de la semaine et de l’année en considérant que la mortalité attendue durant la pandémie est supposée reproduire les taux moyens de mortalité de 2015 à 2019.

La base de mortalité de l’OMS fournit régulièrement des estimations des excès de mortalité en se basant sur 117 pays, en fournissant des valeurs régionales (Europe, Amérique), sans granularité par pays. Dans ce modèle, la mortalité attendue est calculée par régression linéaire en se basant sur des chiffres quotidiens, hebdomadaires ou mensuels de mortalité, en considérant la variable temps (jour, mois, année) comme une variable continue. A l’inverse, The Economist a proposé un algorithme produit à partir de machine learning permettant d’inclure un grand nombre de covariables pour estimer l’excès de mortalité pour 187 pays. Selon eux, l’excès de mortalité lié au COVID-19 est de 18 millions de décès (intervalle de confiance à 95% 12.9-21.0) pour ces 187 pays du 1er janvier 2020 au 27 décembre 2021.

Estimer ces décès est nécessaire afin d’analyser les différents déterminants selon les pays expliquant le taux d’infection et d’adapter les politiques publiques de prévention et de lutte contre la COVID-19. C’est aussi un marqueur de l’amplitude de la pandémie, considéré dans cet objectif comme une variable plus fiable à cet égard que le taux d’infection. Cependant, le nombre de décès rapportés n’est non seulement pas toujours fiable mais de plus ne présente qu’une portion de la totalité des décès liés à la pandémie.  En effet, pour être défini comme imputable à une infection au COVID-19, la personne décédée doit avoir présenté un dépistage SARS-Cov-2 positif dans un délai compatible. Ainsi, toute disparité géographique et tout faible accès au dépistage, comme lors de la première vague de COVID-19 avec une importante vague de décès dans les centres de long séjour des personnes âgées par exemple, vont produire un grand nombre de décès qui ne seront pas attribués au COVID-19. Les disparités des systèmes de santé entraînent, de par les définitions employées mais aussi leur qualité d’enregistrement, des variations dans les registres des décès. Ainsi, la question de l’imputabilité du COVID-19 dans le décès reste débattue entre les différentes communautés médicales. Enfin, la pandémie et les mesures politiques de lutte contre l’infection, comme les confinements, ont entraîné des modifications économiques, sociales ou comportementales qui ont modifié l’évolution des décès non liés au COVID-19, comme une diminution des décès d’origine traumatologique, mais également une augmentation des décès liés à des pathologies aiguës comme chroniques qui n’ont pu bénéficier d’un accès aux soins à cause de la tension sanitaire générée. Faire la distinction entre l’excès de mortalité lié au COVID-19 et lié à l’impact de toutes les conséquences sanitaires et comportementales est particulièrement difficile. Ces raisons expliquent l’importance de l’évaluation de cet excès de mortalité pour mesures l’impact de la pandémie de COVID-19.

Objectif de l’étude

Estimer, globalement, pour chacun des 191 pays et des 252 territoires concernés par cette analyse, l’excès de mortalité dû à la pandémie de COVID-19 du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2021.

Données

Les données exploitées étaient issues des pays où les données sur la mortalité toute-cause confondue était disponible pendant la période de l’étude

Analyse statistique

La relation entre le taux d’excès de mortalité et les covariables d’intérêt (taux d’infection COVID-19, radio infection/détection, HAQ index…) a été analysée, via l’utilisation d’une approche Bayésienne. Ce modèle était utilisé par les auteurs pour produire une estimation de l’excès de mortalité de façon globale et par localisation.

Méthodes

Afin d’analyser cet excès de mortalité du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2021, les auteurs ont procédé en plusieurs étapes. La première consistait à créer une base de données de la mortalité par semaine/mois, en indiquant les phénomènes anormaux surajoutés, comme les vagues de chaleur. Dans un second temps, les auteurs ont développé un modèle permettant de calculer la mortalité estimée en l’absence de COVID-19 sur la période de l’étude. Au cours de la 3ème étape, les auteurs ont mis au point un modèle statistique permettant de prédire l’excès de mortalité lié au COVID-19, en incluant toutes les variables pouvant se rapporter à la pandémie et aux indicateurs de l’état de santé des populations concernées. L’objectif de ce modèle était de pouvoir estimer l’excès de mortalité même dans des pays et des périodes où les données de mortalité étaient absentes.

L’étude se conforme à la checklist GATHER. Les analyses ont été réalisées sur Stata (version 17), Python version (3.7.7), et R (version 4.0.3). De façon remarquable, les auteurs ont permis un libre accès à leur code en ligne. Les auteurs ont de plus créé une interface en ligne permettant la mise à jour régulière de l’excès de mortalité estimé. Les données utilisées pour les analyses sont disponibles sur le site « Global Health Data Exchange », incluant les données publiques mais également celles obtenues spécifiquement pour cette étude. Les cartes présentées dans l’article ont été générées via RStudio (R version 4.0.3) et ArcGIS Desktop (version 10.6.1).

1.      Bases de données utilisées

Les bases de données gouvernementales accessibles librement (World Mortality Database, Human Mortality Database, European Statistical Office) ont permis d’identifier 74 pays/territoires ainsi que 266 subdivisions locales avec des données hebdomadaires ou mensuelles de mortalité pour la période de l’étude ainsi que sur les 11 années précédentes. Seuls 31 pays étaient à faible/moyen niveau de revenu. Pour deux pays, des données empiriques ont été inclues pour la granularité locale de l’excès de mortalité (les 9 provinces constituant l’Afrique du Sud et les 12 états constituant l’Inde, les détails de cette imputation sont présents dans l’article).

Lors du data-management, la première difficulté identifiée était celle du décalage entre la date de décès et sa déclaration dans les registres. Aux USA, la saisie complète des données n’est ainsi obtenue en moyenne qu’après 20 semaines. Toutes les données ont donc été reviewées dans cette perspective en se concentrant également sur les périodes qui présentaient des données tronquées susceptibles d’avoir souffert de ce recueil différé, notamment dans les pays avec des recueils sporadiques et/ou mensuels. Les auteurs ont donc pris une approche conservatrice et ont exclu les données saisies trop récemment. La seconde difficulté était celle du pic observé de mortalité en Europe fin juillet – début août 2020, alors même que les décès rapportés au COVID-19 étaient faibles, attribué à une importante vague de chaleur. La limite du modèle est que, par construction, il ne peut différencier l’excès de mortalité lié au COVID-19 à celui généré par une autre cause. Les données des 3 semaines concernées ont donc été exclues pour tous les pays d’Europe de l’Ouest (cette localisation s’est basée sur le GBD : Global Burden of Diseases, Injuries, and Risk Factors Study [GBD] location groupings). Enfin, la dernière difficulté rencontrée était celle de l’absence d’exhaustivité sur les déclarations de mortalité, particulièrement parmi les pays à faible/moyen niveau de revenu. En se basant sur les décès estimés par le GBD en 2019, six pays avaient des taux de mortalité en 2020 inférieurs à 95% de ceux de 2019. Une correction a été effectuée pour ces pays, sans que l’étude ne précise exactement laquelle extrapolation.

2.      Rappel sur la méthode bayésienne

Pour effectuer ce travail, les auteurs ont utilisés une approche Bayésienne1, 2. Cette approche se base sur le théorème de Bayes, qui fournir un mécanisme de synthèse des informations provenant de sources multiples. Les méthodes statistiques traditionnelles (appelées aussi fréquentistes) peuvent utiliser des informations provenant d’études antérieures uniquement au stade de la conception, mais ne peuvent être intégrées dans les études cliniques qu’en complément et non comme partie de l’analyse des données. A l’inverse, le théorème de Bayes permet de combiner des données « a priori » (i.e. obtenues antérieurement) avec les informations obtenues actuellement. L’idée bayésienne consiste à considérer les informations préalables et les résultats des essais comme faisant partie d’un flux de données continu, dans lequel les inférences sont mises à jour chaque fois que de nouvelles données deviennent disponibles. L’objet final de la méthode de Bayes est d’associer l’évaluation de nouveaux résultats avec ceux historiques ou obtenus précédemment. Cette approche nécessite une spécification claire des informations préalables utilisées et des hypothèses formulées pour permettre la transparence de l’analyse.

Dans ce contexte, on mesure le rôle primordial des données analysées dans les modèles qui vont être générés, et l’importance de leur nature et de leur qualité. Lorsque les données préalables sont en grandes quantités, les approches traditionnelles fréquentistes et les approches bayésiennes fournissent des résultats similaires car la contribution des données observées l’emportera sur celle des informations antérieures. La méthode Bayésienne peut s’appliquer lorsqu’ils existent de bonnes données préalables obtenues lors d’une étude antérieure rigoureusement menée ; elle permet alors d’intégrer ces informations dans l’analyse statistique de l’essai qui va être mené. Elle peut cependant également s’appliquer à des données obtenues en circonstances plus complexes : analyses intermédiaires, changement de taille d’échantillon au cours d’une étude, modification de schéma de randomisation… Elle peut ainsi être est utilisée lorsque la répartition des données préalables ne peut être évaluée, mais aussi lorsque les données sont soit fluctuantes (comme ici pour la mortalité au cours de l’année et des périodes) soit pour des maladies rares dont les données sont peu importantes. Dans ce contexte, utiliser la méthode Bayésienne permet de s’affranchir du recrutement de nouveaux patients (ce qui peut être complexe pour des évènements rares) en intégrant dans les analyses l’utilisation d’informations préalablement recueillies au cours d’une étude antérieure. L’approche bayésienne inclue d’autres possibilités, telles que l’ajustement pour données manquantes, l’analyse de sensibilité, les comparaisons multiples, etc… Ainsi, on mesure que l’approche bayésienne peut être moins contraignante à mettre en œuvre, notamment pour les évaluations de dispositifs médicaux ou de maladies rares. Au cours de la méthode Bayésienne, l’information préalable est considérée comme une forme d’hypothèse. Ainsi, dans cette étude, l’hypothèse préalable est que la mortalité non liée au COVID-19 par mois et par localisation est restée stable entre 2010-2019 et 2020-21. Si cette hypothèse est fausse, les conclusions seront invalides. Il existe des tests qui permettent de vérifier la concordance entre les informations préalables et les données actuelles recueillies, même si elles ne peuvent être utilisées dans l’étude présentée pour des raisons évidentes.

Les avantages de l’approche bayésienne sont :

  • Augmentation du nombre de données disponibles via l’incorporation de données antérieures
  • Réduction de la taille d’échantillon nécessaire dans certaines circonstances, grâce à cette intégration
  • Possibilité d’une flexibilité dans le design et de modifications à mi-parcours : abandon d’un bras de traitement, modifications de schémas de randomisation…
  • Flexibilité dans le traitement des données manquantes
  • Technique particulière pour le traitement de la multiplicité des tests

Les défis de l’approche bayésienne sont :

  • Planification rigoureuse de la conception, de la conduite et de l’analyse de l’étude. Quelles que soient la méthode statistique et la méthodologie, la rigueur du design est une condition préalable indispensable à la réalisation d’un essai clinique. On ne doit pas changer de méthode de bayésienne à fréquentiste, et vice-versa, au cours de l’étude…
  • Choix précoce sur les données recherchées, les hypothèses testées, et donc le modèle mathématique utilisé
  • Expertise statistique spécifique dans l’analyse et le calcul bayésiens

Au cours de la méthode bayésienne, les statistiques consistent à faire des inférences sur des grandeurs inconnues d’intérêt (mortalité, efficacité d’un traitement, quantité du saignement…). Avant le début d’un essai bayésien et l’obtention de données, des probabilités sont données à toutes les valeurs possibles (ou plages de valeurs) d’une quantité inconnue d’intérêt. Ces probabilités, prises ensemble, constituent la distribution a priori pour cette quantité. Cette distribution a priori est généralement basée sur les données d’études précédentes. Une fois les données de l’essai disponibles, la distribution a priori est mise à jour selon le théorème de Bayes. Cette distribution mise à jour est appelée distribution postérieure, à partir de laquelle on obtient les probabilités pour les valeurs de la quantité inconnue après observation des données. Cette approche est un moyen scientifiquement valable de combiner les informations précédentes (les probabilités a priori) avec les données actuelles.

Pour planifier un essai clinique bayésien, certaines étapes sont indispensables :

  • Conception d’essai clinique solide : objectifs, conditions, population, analyse statistique
  • Collecte de covariables, aussi appelées facteurs de confusion
  • Choix d’une population témoin si justifié
  • Analyses des distributions antérieures des variables d’intérêt (distribution a priori)
  • Détermination de la taille de l’échantillon
  • Évaluation des caractéristiques de fonctionnement d’un plan bayésien
  • Ajustements bayésiens de la multiplicité

3.      Estimation de la mortalité attendue

Les auteurs ont développé ici plusieurs modèles afin d’estimer l’évolution par semaine/mois de la mortalité et dans un second temps d’analyser les tendances non expliquées par la saisonnalité. Pour cela, la méthode Bayesienne a permis pour chaque localisation en utilisant, lorsqu’elles étaient disponibles, les données de 2010 à février 2020, ou celle d’une année antérieure la plus proche possible de 2010, d’estimer les tendances par périodes pour 2020 et 2021. Les données avant février 2019 ont permis à créer le modèle, la période de mars 2019 à février 2020 ayant servi de validation entre les données générées par le modèle et la mortalité rapportée pendant cette période (distribution a priori et a posteriori). Pour améliorer la robustesse du modèle, différents nœuds ont été placés dans le modèle Bayésien ainsi qu’un modèle de Poisson, considérant une mortalité identique par semaine et par an, et que la mortalité attendue en 2020 et 2021 était la même pour la semaine considérée en 2019. La mortalité attendue du modèle final sur la période 2020-2021 a été soustraite à la mortalité observée, permettant donc d’obtenir l’excès de mortalité lié à la pandémie de COVID-19.

4.      Estimer l’excès de mortalité lié à la pandémie de COVID-19

D’après les estimations calculées, et après l’exclusion des données aberrantes et des enregistrements différés, l’excès de mortalité a été généré pour chaque localisation considérée. Une gestion spécifique des données a été effectuée pour l’Afrique de Sud et l’Inde où les données du modèle ne pouvaient s’appliquer (gestion des données expliquées plus en détail dans l’article). Au final, les données ont été calculées pour 191 pays et 252 localisations du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2021.

Les auteurs ont analysé toutes les covariables individuelles ayant pu influencer la mortalité établies par le CDC3 ainsi que toutes les données associées à la pandémie de COVID-19 (taux de séroprévalence, taux de positivité des tests…). Une régression de LASSO a été utilisée dans cet objectif (les détails sont présents dans le supplément de l’article). Celle-ci a permis d’identifier 15 covariables d’intérêt qui ont été inclues dans le modèle final : séroprévalence, taux de mortalité due au COVID-19, taux de mortalité brute, taux de positivité des tests, admissions hospitalières annuelles par habitant, taux de mortalité lié au diabète, au VIH et aux maladies cardio-vasculaires, mobilité, qualité des données d’enregistrement de l’état civil, latitude moyenne, prévalence du tabagisme, index HAQ, proportion de la population âgée de plus de 75 ans et présence d’une couverture universelle des soins. Ces covariables expliquaient 69,1 % de la variation des données du modèle.

Un point reste important à signaler la méthodologie de cette analyse. Même si de nombreuses autres causes peuvent avoir influencer la mortalité (confinement, chômage, augmentation de la pauvreté, difficulté d’accès aux soins…), il est impossible dans ce type de modèle de discriminer la mortalité liée au contexte de la pandémie et de la pandémie en elle-même.

Résultats

Au 31 décembre 2021, 5,94 millions de décès étaient attribués au COVID-19 dans le monde. L’excès global de mortalité était 3 fois supérieur, avec 18,2 millions de décès (17,1 – 19,6). Le taux de l’excès de mortalité attribuable à la pandémie était de 120,3 décès (113,1 – 129,3) pour 100 000 habitants. Les détails par pays et territoires sont présentés dans les très nombreux tableaux de l’article. La variabilité inter-pays est très importante, avec un taux d’excès de mortalité de 734,9 (594,1 – 879,2) pour 100 000 habitants en Bolivie, alors que ce même taux était négatif en Islande, Australie, Singapour, Nouvelle-Zélande et Taïwan. Pour 21 pays, l’excès de taux mortalité dépassait les 300 pour 100 000 habitants. Sur le plan régional, les zones les plus impactées étaient l’Amérique latine (centrale + Andes), l’Europe de l’Est, l’Europe Central, le sud de l’Afrique sub-saharienne, avec localement des pays tout autant touchés comme l’Italie, la Lybie (292,1 [232,2–358,8] pour 100 000), l’Arménie, le Liban (416,2 [347,4–515,5] pour 100 000), la Tunisie (324,2 [265,4–376,4] pour 100 000), l’Iraq (280,1 [216,7–362,5]), différents états du sud des Etats-Unis ainsi que certains états de l’Inde.

Alors que les taux d’excès de mortalité étaient faibles en Afrique sub-saharienne, quatre pays font exception : Eswatini (634,9 [49,·8–775,4] pour 100 000), Lesotho (562,9 [460,8–691,4] pour 100 000), Botswana (399,5 [329,1–482,1] pour 100 000), et Namibie (395,6 [340,2–448,8] pour 100 000).

Le nombre d’excès de décès attribués au COVID-19 du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2021 était le plus élevé en Inde (4,07 millions [95% UI 3·71–4·36]) et aux Etats –Unis (1,13 million [1·08–1·18]). Cinq autres pays dépassaient les 500 000 sur la période : Russie (taux de mortalité de 375 pour 100 000), Mexique (taux de mortalité de 325 pour 100 000), Brésil, Indonésie et Pakistan. Au total, ces sept pays comptabilisaient plus de la moitié des excès de décès dans le monde sur les 24 mois analysés. Six pays présentaient un excès de décès entre 250 et 500 000 : Bangladesh, Pérou, Afrique du Sud, Iran, Egypte et Italie.

Les auteurs ont également calculé le rapport entre le taux de surmortalité et le taux de mortalité déclaré au COVID-19 comme une mesure du sous-dénombrement de l’impact réel de la pandémie sur la mortalité. De façon attendue, la variation intra et inter-régionale est importante. Ainsi, alors que l’Amérique du Nord présente des ratios relativement faibles allant−0,05 à 4,41 entre les États des États-Unis, et de 1,05 à 5,59 entre les provinces du Canada, le ratio était de 2,21 (95 % UI 2,07–2,39) pour l’Amérique latine centrale, avec des ratios plus élevés dans certains pays dont El Salvador (7,04 [5,49–8,57]) et des ratios plus faibles comme le Costa Rica (0,85 [0,74–0,99]). Au Mexique, les ratios étaient supérieurs à 2,0 dans dix États et variaient de 1,02 (0,90–1,15) à Colima à 4,90 (4,34–5,46) au Chiapas. Globalement, les ratios étaient plutôt faibles dans presque tous les sites nationaux et territoires de l’Amérique du Sud, avec des ratios inférieurs à 2 voire 1, hormis quelques exceptions (états du Maranhão et du Ceará au Brésil).

Par contre, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, les ratios étaient supérieurs à 10 au Maroc (10,56 [8,46–13,64]), en Egypte (12,19 [11,42–12,80]), au Soudan (25,12 [18,00–30,17]), Afghanistan (26,06 [19,36–32,86]) et Yémen (33,04 [19,03–49,21]). En Afrique subsaharienne, les ratios étaient également généralement élevés, avec un ratio médian de 29,59 (IQR 46,15). Pour l’Afrique du Sud, qui était le seul pays d’Afrique subsaharienne où des estimations directes de la surmortalité basées sur les données de l’état civil étaient possibles, le rapport était de 3,31 (3,15–3,64).

En Asie du Sud, des ratios nationaux extrêmes étaient retrouvés, allant de 8,33 (7,58–8,92) en Inde à 36,06 (15,14–53,25) au Bhoutan, voire 49,64 (28,94–72,74) dans l’état de Balouchistan au Pakistan.

Da façon notable, l’Inde présente une très grande disparité entre un excès de mortalité de 152,5 (95 % UI 138,6–163,3) pour 100 000 habitants et un taux de mortalité lié au COVID-19 rapporté à 18,3 pour 100 000 habitants, avec une large hétérogénéité parmi ses 30 États (8 états présentaient des taux de surmortalité supérieurs à 200 pour 100 000, un niveau dépassé seulement par 50 autres pays dans le monde). Bien que les taux de surmortalité dus à la pandémie de COVID-19 parmi les États indiens ne soient pas les plus élevés au monde, en raison de l’importante population de l’Inde, le pays représentait 22,3 % (20,3–23,9) des surmortalités mondiales au 31 décembre 2021.

Discussion

L’analyse de ces données suggère parmi les 191 pays analysés un excès de mortalité liée au COVID-19 de 18,2 millions de personnes (IC95% 17,1 – 19,6) sur les 24 mois analysés, soit 3 fois plus que les décès directement liés au COVID-19 rapportés. Cet excès était particulièrement marqué dans les Andes, en Europe Centrale et en Europe de l’Est, avec cependant des disparités. Ainsi, la COVID-19 est devenue une des principales causes mondiales de décès mondial sur cette période, même s’il est impossible de discriminer la mortalité liée au contexte de la pandémie à celle liée à la maladie en elle-même. Il est de plus possible que les difficultés d’accès aux soins au cours de la pandémie de COVID-19 engendrent un excès de mortalité différée, dans les années à venir, qui ne peut donc être mesurée au cours de cette analyse. Cette période a de plus été marquée par une baisse de la natalité dans certains pays et une augmentation des pathologies anxieuses et/ou dépressives, avec également de possibles conséquences futures. A ce jour, aucune augmentation de l’incidence de décès par suicide n’a été rapportée, sauf au Japon. Des évolutions épidémiologiques particulières ont été observées au cours de la pandémie comme une réduction des décès d’origine ischémique ou des pathologies respiratoires sévères, attribuées à une diminution de la pollution au printemps 2020. De plus, l’hémisphère nord a été marqué par une baisse de 80% des décès par infections virales grippales et au VRS début 2021.

L’imputabilité directe au COVID-19 de l’excès de mortalité semble être importante pour des pays à haut revenu, comme la Belgique ou la Suède, et beaucoup plus négligeable pour d’autres pays comme la Russie et le Mexique.

L’excès de décès lié au COVID-19 était particulièrement important en Asie centrale et en Afrique sub-saharienne (à l’exception du Sud de cette région), avec possiblement dans les facteurs explicatifs un faible accès aux diagnostics, aux soins et aux mesures de prévention. Ainsi, les mesures préventives étaient moins appliquées dans certains pays à faible/moyen niveau de revenu, avec une difficulté d’accès aux masques, un maintien d’une mobilité importante et surtout peu de distanciation sociale. De même ces pays sont parfois marqués par de mauvais indicateurs de l’état de santé des populations, qui sont en lien avec l’excès de mortalité lié au COVID-19 d’après l’étude présentée ici.

Cette analyse supporte un rapport régulier et précis des bases de données de mortalité afin d’évaluer les méthodes mises en place et leur impact en cas de pandémie.

Cette étude présente de certaines limites. La première majeure repose sur les données analysées, qui n’étaient pas toutes mesurées aux mêmes fréquences (mois versus semaines). Les données de fin 2021 n’ont pu être complètement intégrées à cause des délais de remplissage. L’une des hypothèses suggérées ici est que la majorité de l’excès de mortalité observé n’est pas directement liée au COVID-19 mais aux conséquences de la désorganisation sanitaire et sociale engendrée, ce qui ne peut cependant être formellement affirmé. De même, la diminution d’autres causes de mortalité (comme celles par pathologies cardiovasculaires) peut avoir artificiellement augmenté l’excès liée au COVID de mortalité calculé. Aucune différenciation ne peut être faite dans ce modèle en fonction de l’âge ou du genre du patient, ce qui aurait pu apporter des informations pertinentes dans l’analyse.

Conclusion

La conclusion des auteurs est que l’amplitude de la pandémie de COVID-19 en 2020-2021 était largement supérieure à ce qui était rapporté par les chiffres officiels, avec un excès de 12 millions par rapport aux 6 millions rapportés.

Si l’on s’intéresse plus particulièrement à la France, à l’Allemagne et à l’Angleterre, les taux de mortalité au COVID-19 rapportés étaient de 122 000, 112 000 et 147 000 respectivement. Les taux d’excès de décès liés à la pandémie de COVID-19 étaient respectivement de 155 000, 203 000 et 142 000. Avec des gestions politiques de la pandémie extrêmement différentes, l’excès de mortalité observé en Allemagne pourrait être attribué à une moins robustesse du système de soins, entrainant une hausse des décès non liés directement au COVID-19.

Bibliographie

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