Titre de l’article en français

Anesthésie par agent volatil ou intraveineux en chirurgie cardiaque

Nom et affiliation du membre du CS ou du comité ayant rédigé le commentaire

Pascal Chiari, Jean-Luc Fellahi

Service d’Anesthésie-Réanimation – Hôpital Louis Pradel – Hospices Civils de Lyon

Titre original de l’article, auteurs, revue

Volatile Anesthetics versus Total Intravenous Anesthesia for Cardiac Surgery

Landoni G, Lomivorotov VV, Nigro Neto C, Monaco F, Pasyuga VV, Bradic N, Lembo R, Gazivoda G, Likhvantsev VV, Lei C1, Lozovskiy A, Di Tomasso N, Bukamal NAR, Silva FS, Bautin AE, Ma J, Crivellari M, Farag AMGA, Uvaliev NS, Carollo C, Pieri M, Kunstýř J, Wang CY, Belletti A, Hajjar LA, Grigoryev EV, Agrò FE, Riha H, El-Tahan MR, Scandroglio AM, Elnakera AM, Baiocchi M, Navalesi P, Shmyrev VA, Severi L, Hegazy MA, Crescenzi G, Ponomarev DN, Brazzi L, Arnoni R, Tarasov DG, Jovic M, Calabrò MG, Bove T, Bellomo R, Zangrillo A; MYRIAD Study Group.

N Engl J Med. 2019 Mar 28;380(13):1214-1225. doi: 10.1056/NEJMoa1816476.

 

Commentaire de l’article

Ce que nous savons déjà sur le sujet

La chirurgie cardiaque, et notamment la chirurgie de revascularisation coronaire, est une procédure opératoire classique, qui représente plus de 300.000 interventions par an aux USA mais qui est grevée d’une mortalité à un an de 2 à 3%. Les agents volatils halogénés (AVH) sont doués de propriétés cardioprotectrices via un phénomène de pré- et de postconditionnement. Plusieurs méta-analyses ont montré un bénéfice à l’utilisation des AVH au cours de la chirurgie coronaire et notamment une baisse de la mortalité [1,2]. Il est par conséquent recommandé d’utiliser les AVH au cours de ce type de chirurgie (IB) [3].

 

Méthodologie

L’étude « MYRIAD » cherchait à déterminer si l’administration d’un AVH apportait un bénéfice clinique aux patients opérés d’une chirurgie de revascularisation coronaire. L’étude était randomisée, en simple-aveugle, multicentrique, effectuée sur des patients programmés pour une chirurgie de pontage coronaire avec ou sans circulation extracorporelle (CEC).

Les critères d’exclusion principaux comportaient : la chirurgie combinée valvulaire et coronaire, l’angor instable ou la nécrose myocardique dans les 30 jours précédant l’intervention, la prise de sulfonylurés, d’allopurinol ou de théophylline, la réalisation d’une anesthésie générale dans les 30 jours précédents, des antécédents de transplantation rénale ou hépatique et de cirrhose.

Les patients étaient randomisés :

  • Soit dans le groupe AVH (desflurane, isoflurane ou sévoflurane). L’AVH était utilisé le plus longtemps possible. Il était demandé aux investigateurs d’effectuer au moins 3 périodes de wash-in/wash-out à au moins 0,5 MAC ;
  • Soit dans le groupe anesthésie intraveineuse (AIV) ; pas d’utilisation d’AVH durant l’intervention.

Tous les autres aspects de la gestion péri-opératoire ainsi que le monitorage étaient laissés à l’appréciation de chaque centre. La randomisation était stratifiée par centre.

Le critère principal était la mortalité à 1 an (toutes causes confondues).

Les critères secondaires comportaient : la mortalité à 30 jours (toutes causes confondues), un critère composite (infarctus du myocarde et mortalité à 30 jours), la mortalité de cause cardiaque à 30 jours et 1 an, le taux de ré-hospitalisation à 1 an, la durée de séjour en réanimation et la durée d’hospitalisation.

Analyse statistique : l’hypothèse initiale était que la mortalité à 1 an (toutes causes confondues) serait réduite de 3% dans le groupe AIV à 2% dans le groupe AVH. L’inclusion de 10600 patients était nécessaire pour une puissance de 90% et un risque alpha bilatéral de 5%. Des analyses intermédiaires étaient prévues à 25%, 50% et 75% des inclusions.

 

Résultats principaux

L’étude s’est déroulée dans 36 centres investigateurs issus de 13 pays situés sur les 5 continents, allant de l’Italie à la Chine en passant par l’Egypte, la Malaisie, le Brésil ou la Russie. L’analyse intermédiaire à 50% des inclusions a conduit à l’arrêt de l’étude pour futilité, considérant que l’objectif principal ne pouvait être atteint. 5400 patients avaient été randomisés entre avril 2014 et septembre 2017.

La mortalité toutes causes confondues à 1 an était de 2,8% dans le groupe AVH vs 3% dans le groupe AIV (RR 0,94 [IC 95% : 0,69-1,29], P=0,71), et la mortalité à 30 jours de 1,4% dans le groupe AVH vs 1,3% dans le groupe AIV (RR 1,11 [IC 95% : 0,70-1,76]). La mortalité de cause cardiaque à 30 jours était de 0,7% dans le groupe AVH vs 0,9% dans le groupe AIV (RR 0,83 [IC 95% : 0,46-1,49]) et à 1 an de 1,2% dans le groupe AVH vs 1.6% dans le groupe AIV (RR 0,76 [IC 95% : 0,49-1,20]). Aucun des autres critères secondaires n’a montré de différence significative entre les 2 groupes.

Chaque centre ayant toute latitude pour quantifier les dégâts myocardiques, aucune des données concernant les troponines (I, T, hsI, hsT) ou les CK-MB ne différait entre les groupes.

Dans le groupe AVH, le sévoflurane a été utilisé dans 83% des cas, le desflurane dans 9% des cas et l’isoflurane dans 6% des cas. Dans le groupe AIV, le propofol a été utilisé dans 88% des cas et le midazolam dans 32% des cas. 64% des pontages coronaires ont été effectués avec CEC et 36% sans CEC.

 

Discussion

Il s’agit de la première étude prospective, randomisée, multicentrique, de grande ampleur comparant l’effet d’une anesthésie aux AVH à une anesthésie intraveineuse en chirurgie cardiaque. Contrairement aux méta-analyses publiées notamment par le premier auteur de ce travail, les résultats n’ont pas permis de montrer un bénéfice clinique des AVH [1,2].

En revanche, dans cette étude dite pragmatique, toute latitude était laissée à chaque centre investigateur quant à la gestion et à la surveillance des patients inclus. A la lecture du choix des 36 centres investigateurs, on ne peut écarter la possibilité de prises en charge péri-opératoires très distinctes entre les institutions. De même, l’absence d’uniformisation des mesures biochimiques d’évaluation des dégâts myocardiques ne permet pas de conclure à l’absence d’effet cardioprotecteur des AVH. Enfin, le fait qu’un tiers des interventions étaient effectuées sans CEC rend la population étudiée inhomogène.

 

Ce que cet article nous apporte

L’administration d’un AVH au cours de la chirurgie de revascularisation coronaire  ne permet pas de diminuer la mortalité à 1 an par rapport à une anesthésie intraveineuse. Ce travail est à rapprocher des 2 études « RIPHeart » et « ERICCA » publiées en 2015 dans la même revue et qui n’avaient pas démontré de bénéfice du préconditionnement à distance au cours de la chirurgie cardiaque sur un critère composite de morbimortalité [4,5]. Une nouvelle fois, la thématique de la cardioprotection se heurte à un dilemme. Une étude multicentrique de large effectif basée sur un critère de jugement « fort » ne parvient pas à mettre en évidence l’effet cardioprotecteur des AVH, pourtant largement démontré par les multiples travaux expérimentaux et par les précédentes méta-analyses. Soit cet effet protecteur est trop modeste pour infléchir un critère tel que la mortalité à 1 an, soit d’autres facteurs peropératoires non pris en compte dans ce travail interférent et abolissent ce processus de conditionnement.

Il paraît donc acquis que le choix d’une seule technique de protection d’organe, que ce soit l’administration d’un AVH ou le préconditionnement à distance, ne permet pas d’améliorer significativement le devenir des patients. La stratégie de protection d’organes et notamment de cardioprotection devra probablement évoluer vers une gestion intégrant à la fois la prise en compte des facteurs confondants (contrôle glycémique, optimisation de l’oxygénation, gestion hémodynamique, seuils transfusionnels…) et une approche multimodale cumulant plusieurs stratégies de protection afin d’obtenir une efficacité cliniquement significative [6].  Cette publication va néanmoins possiblement faire reconsidérer et requalifier les récentes recommandations de la Société Européenne de Chirurgie Cardiothoracique qui conseillaient l’utilisation d’un AVH au cours de la chirurgie  coronaire [3].

 

 

Références

  1. Landoni G, Greco T, Biondi-Zoccai G, Nigro Neto C, Febres D, Pintaudi M, Pasin L, Cabrini L, Finco G and Zangrillo A. Anaesthetic drugs and survival: a Bayesian network meta-analysis of randomized trials in cardiac surgery. Br J Anaesth 2013;111:886-96.
  2. Uhlig C, Bluth T, Schwarz K, Deckert S, Heinrich L, De Hert S, Landoni G, Serpa Neto A, Schultz MJ, Pelosi P, Schmitt J, Gama de Abreu M. Effects of Volatile Anesthetics on Mortality and Postoperative Pulmonary and Other Complications in Patients Undergoing Surgery: A Systematic Review and Meta-analysis. Anesthesiology 2016;124:1230-45.
  3. Sousa-Uva M, Head SJ, Milojevic M, Collet JP, Landoni G, Castella M, Dunning J, Gudbjartsson T, Linker NJ, Sandoval E, Thielmann M, Jeppsson A, Landmesser U. 2017 EACTS Guidelines on perioperative medication in adult cardiac surgery. Eur J Cardiothorac Surg 2018;53:5-33.
  4. Meybohm P, Bein B, Brosteanu O, Cremer J, Gruenewald M, Stoppe C, Coburn M, Schaelte G, Boning A, Niemann B, Roesner J, Kletzin F, Strouhal U, Reyher C, Laufenberg-Feldmann R, Ferner M, Brandes IF, Bauer M, Stehr SN, Kortgen A, Wittmann M, Baumgarten G, Meyer-Treschan T, Kienbaum P, Heringlake M, Schon J, Sander M, Treskatsch S, Smul T, Wolwender E, Schilling T, Fuernau G, Hasenclever D and Zacharowski K, for the RIPHeart Study Collaborators. A multicenter trial of remote ischemic preconditioning for heart surgery. N Engl J Med 2015;373:1397-407.
  5. Hausenloy DJ, Candilio L, Evans R, Ariti C, Jenkins DP, Kolvekar S, Knight R, Kunst G, Laing C, Nicholas J, Pepper J, Robertson S, Xenou M, Clayton T and Yellon DM, for the ERICCA Trial Investigators. Remote ischemic preconditioning and outcomes of cardiac surgery. N Engl J Med 2015;373:1408-17.
  6. Kersten JR. A recipe for perioperative cardioprotection: what matters most? The ingredients or the chef? Circulation 2012;126:2671-3.