Mis en ligne le 26 avril 2018
Article du mois

Balanced Crystalloids versus Saline in Critically Ill Adults
(SMART study)

Publié le 26 avril 2018

Matthew W. Semler, M.D., Wesley H. Self, M.D., M.P.H., Jonathan P. Wanderer, M.D., Jesse M. Ehrenfeld, M.D., M.P.H., Li Wang, M.S., Daniel W. Byrne, M.S., Joanna L. Stollings, Pharm.D., Avinash B. Kumar, M.D., Christopher G. Hughes, M.D., Antonio Hernandez, M.D., Oscar D. Guillamondegui, M.D., M.P.H., Addison K. May, M.D., Liza Weavind, M.B., B.Ch., Jonathan D. Casey, M.D., Edward D. Siew, M.D., Andrew D. Shaw, M.B., Gordon R. Bernard, M.D., and Todd W. Rice, M.D., for the SMART Investigators and the Pragmatic Critical Care Research Group*

N Engl J Med. 2018 Mar 1;378(9):829-839. doi: 10.1056/NEJMoa1711584. Epub 2018 Feb 27.

Analyse faite par le Dr Olivier JOANNES-BOYAU pour le comité Réanimation de la SFAR
CHU Bordeaux, Service d’Anesthésie-Réanimation SUD, F-33000 Bordeaux, France
E-mail: olivier.joannes-boyau@chu-bordeaux.fr

Contexte

Les solutés cristalloïdes sont depuis longtemps administrés comme solution de remplissage vasculaire chez les patients en situation critique, notamment en réanimation, ce d’autant que les colloïdes de synthèse sont désormais non recommandés dans cette indication. Cependant, la question de l’influence de la composition de ces solutés cristalloïdes sur le devenir du patient reste non résolue (1). Historiquement, le chlorure de sodium 0,9% (Soluté salé) était le soluté communément utilisé pour le remplissage vasculaire des patients critiques (2). Les dernières data semblent montrer que les solutés salés en intraveineux seraient associés à l’acidose métabolique hyperchlorémique, l’insuffisance rénale aigue (IRA) et une diminution de la survie (3,4). Dans le même temps, des solutés cristalloïdes avec une composition électrolytique plus proche de celle du plasma, appelés solutés balancés (tels que le Ringer lactate, le plasmalyte ou l’isofundine) sont de plus en plus utilisés en remplacement des solutés salés, d’autant que de nombreuses études observationnelles à grande échelle ou des études avant-après suggèrent que les solutés balancés sont associés à une moindre fréquence de complications (IRA, épuration extra-rénale (EER) et décès) (3,5). Cependant, deux études pilotes randomisées contrôlées comparant un soluté salé avec un soluté balancé ne retrouvent de différence en termes de devenir ou de complications (6,7).

C’est pourquoi le « Pragmatic Critical Care Research Group » a décidé de mener un essai randomisé contrôlé comparant le chlorure de sodium 0,9% aux solutés balancés comme solutions de remplissage vasculaire chez les patients critiques, avec l’hypothèse que les solutés balancés réduisent le risque de mortalité, d’insuffisance rénale et de nouvel épisode d’EER.

Méthodologie

Cet essai a été mené dans 5 réanimations, au sein du centre médical universitaire Vanderbilt à Nashville aux États-Unis, entre juin 2015 et avril 2017. Il s’agit d’un essai pragmatique, contrôlé, sans aveugle, randomisé en « clusters » (ou en grappes, c’est une randomisation non pas individuelle mais par groupes de patients, dans cet essai il s’agit d’une randomisation mensuelle de tous les patients, assignés à l’un ou l’autre des solutés étudiés), les patients recevant soit du soluté salé, soit un soluté balancé (Ringer lactate et/ou Plasmalyte) à la discrétion du médecin en charge du patient.

Tous les patients de plus de 18 ans étaient éligibles et ils étaient inclus dès leur admission dans l’une des réanimations participant à l’essai. La randomisation était mensuelle, chaque mois tous les patients admis en réanimation ne recevaient qu’une seule sorte de soluté (salé ou balancé) pendant leur hospitalisation dès que l’utilisation d’un soluté cristalloïde était nécessaire. Les patients venant du bloc opératoire ou des urgences étaient assignés au même soluté que celui de la réanimation devant les accueillir.

Le critère de jugement principal était un critère composite le MAKE 30 (Major Adverse Kidney Events à 30 jours) comprenant la survenue d’un décès, la mise en route d’une EER ou la persistance d’une insuffisance rénale à 30 jours (créatinine supérieure ou égale à deux fois la créatinine de base). Les critères de jugement secondaires étaient habituels pour ce type d’essai : mortalité à 30 et 60 jours, nombres de jours sans ventilation, sans catécholamines, sans EER à 28 jours, ainsi que l’évaluation des niveaux d’insuffisance rénale durant la durée de l’essai.

Le nombre de sujets nécessaires pour montrer une différence de 12% entre les groupes sur le critère de jugement principal, avec une puissance de 90% et un risque alpha à 0,05 était évalué à 14000.

Résultats

Au final, 15 802 patients ont été inclus dans l’essai, 7942 dans le bras solutés balancés et 7860 dans le bras soluté salé. L’âge médian était de 58 ans, avec 58% d’hommes, avec près de 15% de patients en sepsis et 9% de traumatisés crâniens, 34% étaient sous ventilation mécanique à l’inclusion et 26% sous catécholamines, 8% avaient une insuffisance rénale stade 2 ou plus de KDIGO (Kidney Disease: Improving Global Outcomes) et enfin la mortalité hospitalière prédite selon la Vizient database (appelée aussi University HealthSystem Consortium (8)) était de 9%.

Le volume médian de cristalloïdes administrés était de 1000 ml (0-3210) dans le bras « balancés » versus 1020 ml (0-3500) dans le bras « salé », il existait plus de patients hyperchlorémiques (> 110 mmol/l) et en acidose métabolique (Bicarbonate < 20 mmol/l) dans le groupe « salé » que dans le groupe « balancés » (respectivement 35% versus 24% et 42% versus 35%)

Pour l’objectif principal de l’essai (MAKE 30), les auteurs retrouvent un bénéfice en faveur des solutés balancés avec 14,3% versus 15,4% pour le soluté salé. Ces résultats étaient encore plus significatifs pour l’analyse des sous-groupes prédéfinis à l’avance (large volume de remplissage et patients septiques). La mortalité à 30 jours était largement en faveur des solutés balancés chez les patients septiques avec 25,2% de mortalité versus 29,4% pour le soluté salé.

Dans les objectifs secondaires, les résultats étaient à la limite de la significativité en faveur des solutés balancés pour la mortalité hospitalière et le recours à l’EER.

Discussion

Les données connues

De très nombreuses études observationnelles à grande échelle, de cohorte ou de type avant-après allaient dans le même sens, en montrant un effet potentiellement délétère du soluté salé sur la chlorémie, le pH, la fonction rénale et la survie des patients en comparaison avec les solutés balancés quels qu’ils soient (3–5,9). Seule manquait la confirmation par une étude randomisée contrôlée car celles réalisées jusqu’ici étaient négatives et notamment la dernière datant de 2015 (7) malgré un collectif de patients relativement important (2092 patients inclus) mais dans laquelle la chlorémie n’avait pas été mesurée. De plus, aucune étude jusqu’alors n’avait démontré une supériorité quelconque du soluté salé sur les solutés balancés que ce soit en observationnel ou en randomisé.

Ce qu’apporte cette étude

Cette étude démontre enfin de façon claire que les solutés balancés sont préférables pour le remplissage vasculaire des patients critiques en réanimation, dès un niveau modéré de remplissage et d’autant plus si le volume est important ou que les patients sont septiques : moins d’hyperchlorémie, d’acidose métabolique, d’insuffisance rénale, d’EER et de mortalité dans cette population. Les points forts de cet essai sont d’abord le collectif de patients considérable (plus de 15000 patients inclus !), rarement vu pour un essai en réanimation, il est contrôlé et randomisé en cluster ce qui permet de s’affranchir d’une certaine lourdeur administrative mais conserve une haute valeur scientifique en excluant très peu de malades grâce à une assiette de recrutement extrêmement large. Cette approche très pragmatique permet d’inclure la plupart des patients admis en réanimation ce qui valide l’extrapolation des résultats pour la majorité des patients de réanimation. De plus, le rapprochement avec les urgences et le bloc opératoire a permis de conserver le même soluté tout au long de la prise en charge du patient et ce dès le début du remplissage, à l’inverse de la majorité des études sur ce sujet. La méthodologie est solide avec une confirmation interne par différentes méthodes d’analyse, une classification en sous-groupe prévue a priori et une puissance statistique très élevée.

Les limites

Il s’agit d’un essai monocentrique, mais tempéré par le fait que 5 réanimations différentes ont participé. L’essai n’est pas en aveugle, les praticiens et les patients étaient au courant du bras de traitement, mais là encore, le collectif considérable de patients, la randomisation en cluster et le choix de critères durs pour le critère de jugement principal atténuent cette limite.

Le mode de randomisation n’est pas individuel, mais il a ainsi permis d’inclure beaucoup plus de patients.

La relative petite différence entre les groupes (1,1%) sur le critère de jugement principal et le fait d’avoir choisi un critère composite. Mais si on rapporte cela au nombre global de patients concernés on se rend compte que d’utiliser des solutés balancés en place du soluté salé permet d’éviter à 1 patient sur 94 une insuffisance rénale prolongée, une EER ou un décès et ce d’autant plus qu’ils sont septiques ou que le volume de remplissage vasculaire est important.

Synthèse

Les solutés de remplissage vasculaire cristalloïdes qui sont référencés comme des médicaments ne sont trop souvent pas considérés comme tels par les médecins qui s’attachent peu à leur composition et à leurs potentiels effets secondaires, à la différence des colloïdes beaucoup étudiés ces dernières années. Or depuis de nombreuses années des études démontrent les effets potentiellement délétères du soluté salé au niveau rénal et métabolique, appuyés par des bases physiologiques solides sur les effets du chlore.

Cet essai très pragmatique et à la méthodologie très solide permet enfin de réconcilier la physiologie et l’evidence-based medicine  et d’apporter des preuves solides de la supériorité des solutés balancés sur le soluté salé pour le remplissage vasculaire des patients, en particulier ceux qui sont septiques et qui nécessitent un remplissage important. Le nombre de malades inclus, la méthodologie de l’étude et la différence de prix minime entre les différents solutés permet d’extrapoler ces résultats à l’ensemble des malades de réanimation, cantonnant le soluté salé aux patients hypochlorémiques ou en alcalose métabolique.

Je vous engage également à lire l’essai de la même équipe, publié en même temps, portant également sur 13000 patients inclus aux urgences et n’allant pas en réanimation, qui montrent des résultats à peu près semblables (ce qui fait presque 30000 patients en tout !) (10). A lire également l’éditorial de J Myburgh qui replace les choses en perspective dans l’utilisation des solutés de remplissage (11).

Références

  1. Myburgh JA, Mythen MG. Resuscitation fluids. N Engl J Med. 26 sept 2013;369(13):1243‑51.
  2. Finfer S, Liu B, Taylor C, Bellomo R, Billot L, Cook D, et al. Resuscitation fluid use in critically ill adults: an international cross-sectional study in 391 intensive care units. Crit Care Lond Engl. 2010;14(5):R185.
  3. Yunos NM, Bellomo R, Hegarty C, Story D, Ho L, Bailey M. Association between a chloride-liberal vs chloride-restrictive intravenous fluid administration strategy and kidney injury in critically ill adults. JAMA. 17 oct 2012;308(15):1566‑72.
  4. Raghunathan K, Shaw A, Nathanson B, Stürmer T, Brookhart A, Stefan MS, et al. Association between the choice of IV crystalloid and in-hospital mortality among critically ill adults with sepsis*. Crit Care Med. juill 2014;42(7):1585‑91.
  5. Shaw AD, Raghunathan K, Peyerl FW, Munson SH, Paluszkiewicz SM, Schermer CR. Association between intravenous chloride load during resuscitation and in-hospital mortality among patients with SIRS. Intensive Care Med. déc 2014;40(12):1897‑905.
  6. Semler MW, Wanderer JP, Ehrenfeld JM, Stollings JL, Self WH, Siew ED, et al. Balanced Crystalloids versus Saline in the Intensive Care Unit. The SALT Randomized Trial. Am J Respir Crit Care Med. 15 mai 2017;195(10):1362‑72.
  7. Young P, Bailey M, Beasley R, Henderson S, Mackle D, McArthur C, et al. Effect of a Buffered Crystalloid Solution vs Saline on Acute Kidney Injury Among Patients in the Intensive Care Unit: The SPLIT Randomized Clinical Trial. JAMA. 27 oct 2015;314(16):1701‑10.
  8. Shahian DM, Wolf RE, Iezzoni LI, Kirle L, Normand S-LT. Variability in the measurement of hospital-wide mortality rates. N Engl J Med. 23 déc 2010;363(26):2530‑9.
  9. Sen A, Keener CM, Sileanu FE, Foldes E, Clermont G, Murugan R, et al. Chloride Content of Fluids Used for Large-Volume Resuscitation Is Associated With Reduced Survival. Crit Care Med. févr 2017;45(2):e146‑53.
  10. Self WH, Semler MW, Wanderer JP, Wang L, Byrne DW, Collins SP, et al. Balanced Crystalloids versus Saline in Noncritically Ill Adults. N Engl J Med. 01 2018;378(9):819‑28.
  11. Myburgh J. Patient-Centered Outcomes and Resuscitation Fluids. N Engl J Med. 01 2018;378(9):862‑3.