Mis en ligne le 3 octobre 2018
Article du mois

Sodium bicarbonate therapy for patients with severe metabolic acidaemia in the intensive care unit (BICAR-ICU): a multicentre, open-label, randomised controlled, phase 3 trial

Samir Jaber, Catherine Paugam, Emmanuel Futier, Jean-Yves Lefrant, Sigismond Lasocki, Thomas Lescot, Julien Pottecher, Alexandre Demoule, Martine Ferrandière, Karim Asehnoune, Jean Dellamonica, Lionel Velly, Paër-Sélim Abback, Audrey de Jong, Vincent Brunot, Fouad Belafia, Antoine Roquilly, Gérald Chanques, Laurent Muller, Jean-Michel Constantin, Helena Bertet, Kada Klouche, Nicolas Molinari, Boris Jung, for the BICAR-ICU Study Group*

JAMA : https://doi.org/10.1016/S0140-6736(18)31080-8

Analyse faite par : Maxime Nguyen, Nicolas Nowobilski, Sebastien Mirek, Bélaïd Bouhemad

Service d’Anesthésie et de Réanimation, CHU Dijon, France
E-mail : sebastien.mirek@chu-dijon.fr
Pour le comité réanimation de la SFAR
Contexte :

L’acidose métabolique est fréquente dans les services de réanimation et est associée à une augmentation de la mortalité [1]. En effet, l’acidose métabolique entraine une dépression cardio-vasculaire (baisse de la contractilité cardiaque, du débit cardiaque, de la pression artérielle, de la sensibilité vasculaire aux catécholamines) et favorise la survenue d’arythmie ; elle stimule également la réponse inflammatoire et diminue la réponse immune [2,3]. Le bicarbonate de sodium est l’un des traitements de l’acidose métabolique. Sa prescription est fréquente par les réanimateurs mais également par les néphrologues [3]. Les effets bénéfiques attendus de l’administration de bicarbonate au cours de l’acidose métabolique sont liés à la correction de l’acidose. Ces principaux effets indésirables sont l’acidose intra-cellulaire liée à l’apport de CO2 et le risque d’hypocalcémie [2].

Classiquement, l’acidose métabolique est subdivisée en acidose à trou anionique augmenté (dont l’étiologie principale est l’acidose lactique en réanimation) et acidose à trou anionique normal (principalement les pertes de bicarbonates et l’insuffisance rénale précoce en réanimation) [4].

En dehors de l’acidose métabolique par perte de bicarbonates, il n’existe à ce jour pas de recommandation à traiter l’acidose métabolique sévère par bicarbonates de sodium. En 2017, la « Surviving Sepsis Campaign » [5] rappelle qu’il n’existe pas d’études permettant de conclure quant aux effets de l’administration de bicarbonate de sodium sur l’hémodynamique ou la survie.

Les bicarbonates sont ainsi fréquemment prescrits, malgré l’absence de preuve forte du côté de l’Evidence Based Medecine. Cela résume tout l’intérêt de l’étude BICAR-ICU qui, avec sa conception pragmatique, a été développée pour répondre à cette problématique.

 

Méthodologie :

Il s’agit d’une étude multicentrique, randomisée et contrôlée, réalisée sur 26 centres. Il n’y avait pas d’aveugle concernant le traitement. La population était sélectionnée selon les critères suivants :

Critères d’inclusion :

  • Age > 18 ans
  • Moins de 48 heures depuis l’admission en réanimation
  • Acidose sévère (pH ≤ 7.2, PaCO2 ≤ 45)
  • SOFA > 4 ou lactates ≥ 2

Critères d’exclusion :

  • Acidose respiratoire
  • Pertes digestives ou urinaires de bicarbonates
  • Insuffisance rénale chronique stade 4
  • Acido-cétose
  • Administration de bicarbonates dans les 24 heures précédant le screening

La randomisation a été stratifiée sur l’âge (avec un seuil à 65 ans), la suspicion de sepsis et la présence de lésions rénales AKIN 2 ou 3.

Le groupe interventionnel recevait une perfusion de bicarbonates de sodium 4.2% avec pour objectif un pH ≥ 7.30 pendant les 28 jours suivant l’admission ou jusqu’à la sortie de réanimation. La dose recommandée était de 125 à 250 ml sur 30 minutes sans dépasser les 1000mL dans les 24 heures. Il était également recommandé de contrôler le pH 1 à 4 heures après la perfusion de bicarbonates. Le groupe contrôle ne recevait pas de bicarbonates.

Les indications de dialyse ont été standardisées pour les 2 groupes avec les critères suivants à l’admission : une kaliémie ≥ 6.5 mmol/l avec signes électriques, ou un œdème aigu du poumon associé à une anurie et s’il y avait 2 des 3 critères suivants dans les 24 heures suivant l’inclusion : une diurèse < 0.3 ml/kg pendant 24h, un pH < 7.2 ou une kaliémie > 6.5 mmol/l.

Le critère de jugement principal était composite, constitué de la mortalité à J28 ou de la présence d’au moins une défaillance d’organes à J7. Les critères de jugement secondaires et l’analyse du sous-groupe avec des score AKIN de 2 ou 3 ont été définis à priori.

Le nombre de 400 sujets nécessaires a été calculé afin de mettre en évidence une différence de 15% concernant le critère de jugement principal. La réalisation d’une analyse intermédiaire a été prise en compte. Les analyses ont été faites en intention de traiter.

 

Résultats :

942 patients avec une acidose métabolique sévère étaient éligibles à l’étude. Parmi ces patients, 542 ont été exclus et 400 ont été randomisés. Après 11 retraits de consentement, 389 patients ont été inclus dans l’analyse en intention de traiter. Dans le groupe Bicarbonates, les bicarbonates ont été essentiellement administrés au cours des 24 heures suivant la randomisation et la dose médiane de bicarbonates administrée était de 500 (250-750) ml. Dans le groupe contrôle, 47 patients ont reçu du bicarbonate de sodium dont 41 en traitement de secours. La randomisation a permis de former 2 groupes comparables en terme de données démographiques initiales.

Le critère de jugement principal composite (mortalité à J28 ou présence d’une défaillance d’organe à J7) n’était pas significativement différent entre les deux groupes avec respectivement 66% et 71% d’incidence pour les groupes bicarbonates et contrôle. L’analyse séparée des 2 composantes de ce critère ne permettait pas de mettre en évidence de différence en termes de mortalité dans la population totale.

L’analyse en sous-groupes de la population ayant une insuffisance rénale aigue avec des scores AKIN de 2 ou 3 (n=182) retrouvait une différence significative sur le critère composite et notamment une amélioration de la mortalité à J28 dans cette sous population. Les patients AKIN 2 ou 3 avaient plus de jours sans vasopresseurs et de jours sans dialyse lorsqu’ils étaient traités par bicarbonates.

Concernant les critères de jugement secondaires, l’administration de bicarbonates était associée à un délai plus long de l’initiation de l’épuration extra-rénale et à un taux inférieur de recours à l’épuration extra-rénale (EER).

Enfin, il y avait plus d’alcalose métabolique, d’hypernatrémie et d’hypocalcémie dans le groupe traité par bicarbonate, mais sans complications grave rapportées.

 

Discussion

Données connues :

Les auteurs présentent dans leur article une revue de la littérature. Il existait peu de données solides concernant l’administration de bicarbonates pour le traitement de l’acidose métabolique sévère en réanimation. La littérature antérieure était constituée d’une part d’études physiologiques de faible effectif et d’étude rétrospectives, ne permettant pas de conclure formellement et d’autre part, de revues de la littérature ne recommandant pas l’utilisation des bicarbonates [6].

Ce qu’apporte l’étude :

Cette étude montre l’absence de caractère délétère du traitement par bicarbonates des patients ayant une acidose métabolique sévère. De plus, elle suggère un effet bénéfique des bicarbonates chez les patients avec une agression rénale aigu sévère (AKIN 2 ou 3) et permet d’éviter l’EER à un certain nombre de patient. Elle met ainsi fin au paradigme de n’administrer des bicarbonates que dans le cadre d’une perte de base.

Le délai plus long de l’initiation de l’EER dans le groupe bicarbonates est un résultat attendu. En effet, du fait de l’exclusion des patients hypercapniques, l’administration de bicarbonates a permis de corriger le pH, retardant l’initiation de l’EER sur le critère d’acidité. Cependant, le résultat particulièrement intéressant est que ce délai permettrait d’éviter le recours à l’EER pour un certain nombre de patients. En effet, l’analyse en sous-groupe de l’essai AKIKI suggèrerait une amélioration de la survie chez les patients évitant l’EER du fait de leur allocation au bras tardif [7].

Les principales forces de cette étude sont sa méthodologie solide (notamment la standardisation des indications de recours à l’EER), son caractère pragmatique et la qualité de sa randomisation. Malgré les critiques émises concernant l’absence de données physiopathologiques relatives à l’étiologie de l’acidose, les critères d’inclusion et d’exclusion nous orientent vers des acidoses lactiques (trou anionique augmenté) et/ou des acidoses secondaires à l’insuffisance rénale aigue à sa phase précoce (trou anionique normal) [4] et on retrouve en effet 47% de patient insuffisants rénaux avec des score AKIN de 2 ou 3 et 82% de patients avec une hyper-lactatémie à l’inclusion. Il est ainsi intéressant de constater que le bicarbonate de sodium semble avoir de meilleurs résultats dans le groupe de patients ayant une insuffisance rénale aigue sévère, car cela est en accord avec la physiopathologie de l’équilibre acido-basique selon Stewart et avec la littérature sur l’acidose lactique [8].

Cette étude est particulièrement intéressante car elle entraine une réflexion qui se traduira probablement par une évolution de nos pratiques. En effet, à l’inverse des précédentes revues de la littérature, cette étude nous montre clairement qu’il est possible d’administrer des bicarbonates pour traiter l’acidose métabolique sévère et suggère un bénéfice chez les patients avec une agression rénale aigue sévère et/ou chez qui l’administration de bicarbonate permettait d’éviter la dialyse.

Les limites :

Les principales limites de cette étude étaient liées à l’absence d’aveugle possible et à l’inclusion des patients au cours des 48 premières heures. En effet, malgré des volumes de remplissages vasculaires équivalents, l’absence de standardisation des indications et l’absence de données concernant l’administration du remplissage vasculaire ne nous permettent pas de nous affranchir formellement d’un effet des bicarbonates via la volémie. Les données du monitorage de la chlorémie auraient également pu être informatives. On note que la présence d’au moins une défaillance d’organes à J7 était fréquente dans les 2 groupes. L’exclusion des patients ayant bénéficié d’un traitement par bicarbonates dans les 24 heures ainsi que l’administration de bicarbonates chez 47 (24%) des patients du groupe contrôle diminuent probablement significativement la puissance de l’analyse en intention de traiter.

 

Synthèse

Le traitement de l’acidose métabolique sévère en réanimation par l’administration de bicarbonates de sodium est controversé.

Cette étude par sa méthodologie solide et son approche pragmatique nous permet de mettre en évidence que l’administration de bicarbonates de sodium chez le patient en acidose métabolique sévère n’est pas délétère. De plus, elle semble bénéficier aux patients avec une agression rénale aigue sévère et/ou ayant une indication de dialyse sur un critère d’acidité en permettant à certains d’éviter le recours à l’EER.

Cette étude est importante car elle permet une remise en question et une probable évolution de nos pratiques actuelles. Un essai centré sur les patients ayant une agression rénale aigue sévère ou sur les patients ayant une indication de dialyse sur un critère d’acidité pourrait être particulièrement intéressant.

On peut dans ce contexte recommander la lecture de la revue de la littérature de Berend et al. qui reprend la physiologie pour diagnostiquer les troubles de l’équilibre acido-basique.

 

Références

[1]       Smith I, Kumar P, Molloy S, Rhodes A, Newman PJ, Grounds RM, et al. Base excess and lactate as prognostic indicators for patients admitted to intensive care. Intensive Care Med 2001;27:74–83. doi:10.1007/s001340051352.

[2]       Kraut JA, Madias NE. Lactic Acidosis. N Engl J Med 2014;371:2309–19. doi:10.1056/NEJMra1309483.

[3]       Kraut JA, Kurtz I. Use of base in the treatment of acute severe organic acidosis by nephrologists and critical care physicians: results of an online survey. Clin Exp Nephrol 2006;10:111–7. doi:10.1007/s10157-006-0408-9.

[4]       Berend K, de Vries APJ, Gans ROB. Physiological Approach to Assessment of Acid–Base Disturbances. N Engl J Med 2014;371:1434–45. doi:10.1056/NEJMra1003327.

[5]       Rhodes A, Evans LE, Alhazzani W, Levy MM, Antonelli M, Ferrer R, et al. Surviving Sepsis Campaign: International Guidelines for Management of Sepsis and Septic Shock: 2016. Intensive Care Med 2017;43:304–77. doi:10.1007/s00134-017-4683-6.

[6]       Jaber S, Paugam C, Futier E, Lefrant J-Y, Lasocki S, Lescot T, et al. Sodium bicarbonate therapy for patients with severe metabolic acidaemia in the intensive care unit (BICAR-ICU): a multicentre, open-label, randomised controlled, phase 3 trial. Lancet 2018. doi:10.1016/S0140-6736(18)31080-8.

[7]       Gaudry S, Hajage D, Schortgen F, Martin-Lefevre L, Pons B, Boulet E, et al. Initiation Strategies for Renal-Replacement Therapy in the Intensive Care Unit. N Engl J Med 2016;375:122–33. doi:10.1056/NEJMoa1603017.

[8]       Kraut JA, Madias NE. Lactic Acidosis: Current Treatments and Future Directions. Am J Kidney Dis 2016;68:473–82. doi:10.1053/J.AJKD.2016.04.020.