Mis en ligne le 7 Janvier 2011
Questions Fréquentes

logo-sfar-ok-400

C. Paugam-Burtz, A. Toussaint
Unité de réanimation hépato-digestive
Hôpital Beaujon
100, Bd du Général Leclerc – 92110 Clichy, France
INSERM 773 – CRB3
Faculté PARIS DIDEROT

Question 1 – Cirrhotique en réanimation : quel pronostic ?

Question 2 – Syndrome hépatorénal : quelle définition, quel pronostic ?

Question 3 – Syndrome hépatorénal : quels traitements ?

Question 4 – Quels traitements en cas d’hémorragie digestive du cirrhotique ?

Question 5 – Quelle place pour les techniques de suppléance hépatique chez le cirrhotique en réanimation?

 

[hr_shadow]

Question 1 – Cirrhotique en réanimation : quel pronostic ?

Le pronostic en réanimation des patients atteints de cirrhose est sombre. La mortalité en réanimation des ces patients reste en effet très élevée (30 à 60%) [1]. A pathologie identique, elle est constamment supérieure à celle de patients non cirrhotiques. L’hémorragie digestive, l’infection en particulier celle du liquide d’ascite et l’encéphalopathie hépatique représentent les principales complications aigues de la maladie cirrhotique et constituent les motifs les plus fréquents de recours à la réanimation des patients atteints de cette pathologie. Parmi les facteurs pronostiques, la gravité de la maladie hépatique avant l’événement aigu exprimée par le score de Child et la gravité de la maladie hépatique au moment de l’admission en réanimation exprimée par le score MELD [Model for End-stage Liver Disease = 9,57 x Log(créatinine sérique, mg/dL) + 3,78 x Log(bilirubine, mg/dL) + 11,20 x Log(INR) + 6,431)] sont des facteurs de gravité du pronostic des cirrhotiques admis en réanimation [2]. Cependant, chez le cirrhotique, l’intensité et le nombre des défaillances d’organes exprimés par exemple par un score non spécifique tel que le Sequential Organ Failure Assessement (SOFA) à l’admission constituent des facteurs pronostiques plus importants [3, 4, 5]. Il semble aussi que la performance pronostique du SOFA soit encore meilleure après 2 ou 3 jours de réanimation [5]. Ceci est un argument pour proposer une prise en charge non limitée à la phase initiale suivie d’une réévaluation rapide au delà des premières 48 heures de traitement. Dans ce contexte de gravité, il est important de rappeler que la transplantation hépatique représente le seul traitement efficace des cirrhoses documentées avec des résultats très satisfaisants en terme de survie à long terme 5 ou 10 ans de l’ordre de 60 à 70 % [6]. L’existence d’un projet « raisonnable » de transplantation hépatique à court ou moyen terme est donc un argument à prendre en compte lors des discussions sur l’intensité des thérapeutiques à initier ou à poursuivre chez les cirrhotiques admis en réanimation.

Question 2 – Syndrome hépatorénal : quelle définition, quel pronostic ?

Le diagnostic de syndrome hépatorénal (SHR) est un diagnostic d’exclusion en cas de survenue d’une insuffisance rénale chez un patient présentant une cirrhose décompensée. Les situations d’hypovolémie vraie (hémorragie digestive, diarrhée, excès de diurétiques…) doivent être éliminées. Les critères de SHR ont été revus récemment [7]. On parle de SHR en cas de :

1        cirrhose avec ascite ;

2        créatinine sérique > 133 µmol/l ;

3        absence d’amélioration de la créatininémie (< 133 µmol/l) après au moins 2 jours d’arrêt des diurétiques et remplissage par albumine (1 g/kg) ;

4        en l’absence de choc ;

5        en l’absence de traitement néphrotoxique ;

6        en l’absence d’argument pour une anomalie rénale parenchymateuse :

a.      proteinurie > 500 mg/jour ;

b.      microhématurie (> 50 GR/champs) ;

c.      et/ou échographie rénale anormale.

La survie spontanée des patients développant un SHR est extrêmement faible de l’ordre de 2 à 4 semaines [8].

Question 3 – Syndrome hépatorénal : quels traitements ?

Le traitement définitif du syndrome hépatorénal est la transplantation hépatique lorsqu’elle est envisageable. C’est le seul traitement qui améliore très significativement le pronostic des cirrhotiques atteints de SHR. Les traitements vasoconstricteurs sont des traitements d’attente qui peuvent faciliter l’accès à la transplantation. Une méta-analyse récente montre que les traitements vasoconstricteurs augmentent significativement la probabilité de guérison du SHR (RR = 3.76 [95% CI =2.21 – 6.39]) [9]. L’emploi de la terlipressine + albumine est associée à une réponse chez 34 à 83 % des patients, l’emploi de noradrénaline + albumine chez 50 à 80% des patients. Les critères prédictifs de réponse sont la sévérité de la cirrhose et une créatininémie relativement basse au moment de l’instauration du traitement. Malgré ces traitements, à 3 mois, 72 % des patients traités sont morts. La survie des répondeurs est de 44 % (durée médiane : 70 jours) et celle des non répondeurs de 14% (durée médiane : 7 jours). Quatorze pourcents des patients (6 – 25 %) des patients traités par terlipressine présentent des effets secondaires cardiovasculaires (IDM, arythmie, ischémie mésentérique, hypertension, OAP). Actuellement, l’administration d’albumine associée à un traitement vasoconstricteur constitue le traitement de première intention du SHR [8. Il est probable qu’une prise en charge précoce puisse influencer favorablement l’évolution de ces patients. Dans ces circonstances, les patients candidats à la greffe doivent être rapidement listés. La survenue de ce syndrome peut-être prévenue par le traitement adapté des complications de la cirrhose. Ainsi, en cas d’infection spontanée du liquide d’ascite, l’administration d’albumine (1.5 g/kg le jour du diagnostic et 1 g/kg deux jours après) en plus d’une antibiothérapie permet de réduire la survenue du syndrome hepatorenal [10].

Question 4 – Quels traitements en cas d’hémorragie digestive du cirrhotique ?

Même si le pronostic des hémorragies digestives chez le cirrhotique s’est amélioré, la survenue d’une hémorragie digestive sur varices d’hypertension portale est associée à une mortalité à 6 mois de l’ordre de 15 à 20 % variant de 0 % chez les patients Child A à 30 % chez les patients Child C [11]. Les traitements étiologiques combinent des thérapeutiques permettant de réduire l’hyperpression portale et des traitements locaux endoscopiques sans effet sur la pression portale. Les traitements médicamenteux les mieux codifiés sont l’octréotide, la somatostatine et la terlipressine. Le choix entre ces thérapeutiques repose sur des critères de disponibilité et de cout. La durée d’administration varie de 2 à 5 jours. En complément, le traitement endoscopique au mieux dans les 12 heures, permet de réaliser un traitement, préférentiellement par ligature, des varices œsophagiennes. Enfin, la mise en route d’un traitement antibiotique par céphalosporines de 3ème génération ou ciprofloxacine pour une durée de 5 à 7 jours complète la prise en charge. Il a été montré que ce traitement était associé à une réduction de la mortalité associée aux hémorragies digestives. La mise en place d’un shunt portosystemique intrahépatique par voie transjugulaire peut être proposée en cas d’échec des traitements précédents. Il existe des données pour penser que la mise en place plus précoce de ces shunts pourrait améliorer la survie des patients les plus sévères (Child C10-12). Les varices cardiales sont traitées préférentiellement par obturation à l’aide de colle [11].

Question 5 – Quelle place pour les techniques de suppléance hépatique chez le cirrhotique en réanimation?

Parmi les techniques de suppléance hépatique, les systèmes permettant l’épuration sanguine à l’aide d’une membrane et d’agents détoxifiants, sont les plus développés. Parmi ceux-ci, la technique la plus étudiée est la dialyse à l’albumine avec le système Molecular Absorbent and Recirculating System (MARS™). Lors de la prise en charge d’une décompensation aigue d’une cirrhose (acute-on-chronic failure), la mise en route de cette technique pourrait avoir comme objectif théorique le retour au stade initial de la maladie hépatique (≠ guérison). Elle pourrait aussi être utilisée pour permettre d’attendre la transplantation en donnant du temps et/ou en améliorant l’état clinique des patients devant subir la transplantation. Les données actuelles semblent montrer que l’utilisation du MARS™ dans les décompensations aigues pouvait être associée à une stabilisation hémodynamique, une amélioration de l’encéphalopathie hépatique [12, 13]. Ce point pourrait être intéressant si cette amélioration clinique était associée à une réduction du recours à la ventilation mécanique qui constitue un tournant péjoratif chez les patients cirrhotiques. Néanmoins, l’amélioration de la survie grâce à ces techniques n’a pu être démontrée de façon claire [13]. Ces techniques pourraient être utilisées comme bridge vers la transplantation pour des patients candidats à ce traitement. Cependant, la place de ces techniques onéreuses et techniquement lourdes, mérite encore des évaluations.

[1] Aggarwal A, Ong JP, Younossi ZM et al. Predictors of mortality and resource utilization in cirrhotic patients admitted to the medical ICU. Chest, 2001; 119: 1489-97.

[2] Cholongitas E, Marelli L, Shusang V et al. A systematic review of the performance of the model for end-stage liver disease (MELD) in the setting of liver transplantation. Liver Transpl, 2006; 12: 1049-61.

[3] Wehler M, Kokoska J, Reulbach U et al. Short-term prognosis in critically ill patients with cirrhosis assessed by prognostic scoring systems. Hepatology, 2001; 34: 255-61.

[4] Cholongitas E, Senzolo M, Patch D et al. Risk factors, sequential organ failure assessment and model for end-stage liver disease scores for predicting short term mortality in cirrhotic patients admitted to intensive care unit. Aliment Pharmacol Ther, 2006; 23: 883-93.

[5] Das V, Boelle PY, Galbois A, Guidet B, Maury E, Carbonell N, Moreau R, Offenstadt G. Cirrhotic patients in the medical intensive care unit: early prognosis and long-term survival. Crit Care Med. 2010; 38:2108-16.

[6] Agence de Biomédecine, Rapport d’activité 2008. Agence de la Biomédecine.

[7] Salerno F, Gerbes A, Gines P et al. Diagnosis, prevention and treatment of hepatorenal syndrome in cirrhosis. Gut, 2007; 56: 1310-8.

[8] Gines P, Schrier RW. Renal failure in cirrhosis. N Engl J Med, 2009; 361: 1279-90.

[9] Gluud LL, Christensen K, Christensen E, Krag A. Systematic review of randomized trials on vasoconstrictor drugs for hepatorenal syndrome. Hepatology, 2010; 51: 576-84.

[10] Runyon BA. Management of adult patients with ascites due to cirrhosis: an update. Hepatology, 2009; 49: 2087-107.

[11] Garcia-Tsao G, Bosch J. Management of varices and variceal hemorrhage in cirrhosis. N Engl J Med, 2010; 362: 823-32.

[12] Karvellas CJ, Gibney N, Kutsogiannis D et al. Bench-to-bedside review: current evidence for extracorporeal albumin dialysis systems in liver failure. Crit Care, 2007; 11: 215.

[13] Liu J, Kjaergard LL, Als-Nielsen B, Gluud C. Artificial and bioartificial support systems for liver failure: a Cochrane Hepato-Biliary Group Protocol. Liver, 2002; 22: 433-8.