Mis en ligne le 3 Mars 2009
Questions Fréquentes

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JL Trouillet
Réanimation Médicale, Institut de Cardiologie,
GH Pitié Salpêtrière PARIS

 

Question 1 – Quand suspecter une pneumonie acquise sous ventilation mécanique (PAVM) ?

Une PAVM correspond à « toute pneumonie survenant chez un malade dont la respiration est assistée par une machine soit de manière invasive par l’intermédiaire d’un tube endotrachéal ou d’une trachéotomie soit de manière non invasive par l’intermédiaire d’un masque facial ou d’un autre procédé dans les 48 heures précédant la survenue de l’infection » [1].
Son diagnostic est souvent difficile : les signes cliniques ne sont pas spécifiques (<50%).
L’index de suspicion doit être particulièrement élevé dans certaines situations : ventilation mécanique (VM) prolongée par l’intermédiaire d’un tube endotrachéal, intubations répétées, patients comateux, polytraumatisés, patients avec une défaillance polyviscérale, un SDRA, une maladie pulmonaire chronique, ou une immunodépression. Les signes de suspicion sont :
 cliniques et biologiques : hyperthermie >38° C sans autre cause ou hypothermie, hyperleucocytose ≥ 12000 GB/mm3 ou leucopénie < 4000 GB/mm3, apparition de sécrétions purulentes, aggravation de l’état hémodynamique et/ou respiratoire (désaturation, altération des gaz du sang) sans autre raison évidente, une élévation de marqueurs biologiques de l’inflammation ;
 radiologiques : apparition, modification ou simplement présence d’images radiologiques compatibles.
Cette suspicion doit conduire à une démarche diagnostique et thérapeutique [2]. Au sein de chaque unité de réanimation, des algorithmes décisionnels doivent clairement définir une stratégie diagnostique et d’antibiothérapie initiale. Ces algorithmes doivent être respectés par l’ensemble de l’équipe médicale. Trois stratégies diagnostiques sont schématiquement possibles : la première « invasive » recommande une fibroscopie systématique pour réaliser des prélèvements distaux par brosse téléscopique protégée (BTP) ou lavage bronchoalvéolaire (LBA), la seconde « clinique » se fonde sur la suspicion clinique (en s’aidant éventuellement par le calcul d’un score tel que le Clinical Pulmonary Infection Score modifié ou non) et des cultures qualitatives des sécrétions trachéales, la troisième « protocole simplifié » s’appuie sur la réalisation de cultures quantitatives des sécrétions trachéales ou de prélèvements distaux effectués à l’aveugle (PDP combicath, mini-LBA) [3].

1. CTINILS – Définition des infections associées aux soins Mai 2007
2. Guidelines for the management of adults with hospital-acquired, ventilator-associated, and healthcare-associated pneumonia. Am J Respir Crit Care Med. 2005 ; 171:388-416.
3. Brun-Buisson C, Fartoukh M, Lechapt E, Honore S, Zahar JR, Cerf C, Maitre B. Contribution of blinded protected quantitative specimens to the diagnostic and therapeutic management of ventilator associated pneumonia. Chest 2005 ; 128:533-544

Question 2 – Quel(s) examen(s) à visée microbiologique doit on faire avant d’instaurer une antibiothérapie ?

Actuellement seules les techniques microbiologiques classiques (examen direct et culture) sont disponibles et validées.
Il est toujours possible de faire un prélèvement « local » à visée microbiologique avant de commencer un traitement antibiotique quelque soit l’heure du jour ou de la nuit. Le prélèvement peut être gardé au réfrigérateur et envoyé le lendemain matin au laboratoire.
La sensibilité et la spécificité de ces différents types d’échantillonnage bronchique sont variables (Tableau d’après [1,2])

Type de prélèvements Sensibilité m±ds (extrêmes) Spécificité m±ds (extrêmes)
Aspiration trachéale qualitative (57%-88%) (14%-33%)
Aspiration trachéale quantitative ≥106 76±9%
(38%-82%)
75±28%
(72%-85%)
Echantillonnage distal non fibroscopique PDP, mini-LBA(≥103) (63%-100%) (66%-96%)
BTP sous fibroscopie ≥103 66±19%
(33%-100%)
90±15%
(50%-100%)
LBA sous fibroscopie≥104 73±18%
(42%-93%)
82±19%
(45%-100%)

En dépit des controverses, la stratégie « invasive » avec prélèvements sous fibroscopie (LBA, BTP, combicath) est supérieure en terme de qualité de l’antibiothérapie (moins d’antibiothérapie initiale, réduction de la consommation d’antibiotiques) et permet de diagnostiquer plus fréquemment des infections extra-pulmonaires [3]. Se contenter de résultats bactériologiques purement qualitatifs ne semble plus acceptable dans le cadre d’une politique d’antibiothérapie responsable.
En cas d’antibiothérapie présente au moment de la suspicion, il faut distinguer deux situations :
 soit cette antibiothérapie vient d’être débutée, et l’intérêt de prélèvement bactériologique pour décider de poursuivre ou d’adapter l’antibiothérapie devient faible ;
 soit cette antibiothérapie a été instaurée depuis plus de 72 heures pour une autre raison, l’intérêt et la valeur opérationnelle du prélèvement bactériologique sont alors comparables à ceux d’un prélèvement réalisé chez un malade sans antibiotique. Les bactéries responsables sont habituellement résistantes à l’antibiothérapie en cours.
Les autres prélèvements bactériologiques standard (hémoculture, exceptionnellement ponction pleurale) sont d’un apport diagnostique faible dans cette situation. L’antigènurie légionelle ne se justifie a priori qu’en cas de contexte particulier. Des marqueurs sanguins ou recueillis au niveau du poumon (sTREM-1 par exemple) ou des techniques de biologie moléculaire (PCR) sont encore du domaine de l’investigation.

1. Guidelines for the management of adults with hospital-acquired, ventilator-associated, and healthcare-associated pneumonia. Am J Respir Crit Care Med. 2005 ; 171:388-416.
2. Francioli P, Chastre J, Langer M, et al. Ventilator-associated pneumonia-Understanding epidemiology and pathogenesis to guide prevention and empiric therapy. Clin Microbiol Infect 1997 ; 3:S61-76
3. Fagon JY, Chastre J, Wolff M, et al. : Invasive and noninvasive strategies for management of suspected ventilator-associated pneumonia. A randomized trial. Ann Intern Med 2000 ;132:621-30

Question 3 – Dans quel délai instaurer cette antibiothérapie  ?

Parmi les infections nosocomiales en réanimation, les PAVM sont probablement l’une des ou la plus sévère(s), entraînant une surmortalité et une surmorbidité. Plusieurs études ont établi un lien entre réduction de la mortalité et la précocité et l’appropriation de l’antibiothérapie initiale [1]. Par conséquent, le traitement antibiotique doit être mis en place « le plus rapidement possible », en pratique dès que le prélèvement bactériologique, quel qu’il soit, est réalisé sans en attendre le résultat. Dans les sites où cela est possible la réalisation immédiate d’un examen direct d’un LBA, en réalisant une pastille de cytocentrifugation, peut permettre d’orienter l’antibiothérapie initiale.

1. Chastre J, Fagon JY. Ventilator-associated pneumonia. Am J Respir Crit Care Med. 2002 ;165:867-903.

Question 4 – Quelle antibiothérapie initiale ?

Le choix de l’antibiothérapie initiale est essentiellement fondée sur la présence ou l’absence de facteurs de risque (FDR) de bactéries multi-résistantes (BMR) qui sont : une antibiothérapie ou une hospitalisation dans les 90 jours précédents, une hospitalisation actuelle ≥ 5 jours, une durée de VM ≥ 5 ou 7 jours, une prise en charge dans un centre de dialyse ou dans un centre de long séjour ou maison médicalisée, une immunodépression (maladie ou traitement), une prévalence élevée de BMR dans la communauté ou dans l’hôpital ou l’unité de réanimation, et enfin si le malade est déjà connu comme étant colonisé par une BMR [1,2]. Dans ces situations, une antibiothérapie à large spectre est recommandée d’emblée. Le choix de la molécule ou de l’association de molécules est fondé sur le contexte clinique, les données épidémiologiques locales, les traitements antibiotiques reçus récemment (ne pas represcrire un antibiotique que le malade a reçu les jours précédents), la colonisation par une BMR, et, quand cela est possible, l’examen direct d’un échantillon bronchique distal.
Une antibiothérapie initiale à spectre étroit ne se justifie qu’en face d’une infection précoce (<5 jours de VM) et en l’absence de facteurs de risque de BMR.
Un algorithme de prescription de l’antibiothérapie initiale devrait être établi dans chaque unité de réanimation, algorithme adapté chaque fois que nécessaire aux évolutions de l’écologie locale.
Le tableau ci-dessous est donné à titre indicatif et doit être adapté à l’épidémiologie de chaque unité de réanimation.

Indications Bactéries habituellement en cause Antibiothérapie empirique initiale
PAVM précoce (<5-7 jours de VM) et sans antibiothérapie préalable ni FDR pour une BMR Streptocoques, S aureus métiS, H. influenzae, Moraxella, entérobactéries sensibles, anaérobies Cefotaxime, ceftriaxone ou amoxicilline+acide clavulanique
PAVM tardive (≥ 5 j-7 jours de VM) et/ou FDR pour la présence de BMR Entérobactéries, y compris entérobactéries du groupe 3 (Enterobacter, Citrobacter freundii, Serratia, Proteus indole +, Morganella, Providencia),
entérobactéries BLSE, Pseudomonas aeruginosa, Acinetobacter baumannii,_ S aureus métiR (SARM)
autres
Une des 4 beta-lactamines
 piperacilline+tazobactam,
 ceftazidime,
 carbapénemes (imipénème, méropenem, doripénem)
 céfépime
+
 un aminoside (plutôt amikacine)
±
 vancomycine si malade porteur de SARM, forte prévalence dans l’unité, venant de soins de suite/long séjour, hémodialysé chronique ou patient en état de choc (et présence de cocci Gram positive à l’examen direct si disponible)

1. Trouillet JL, Chastre J, Vuagnat A, et al. Ventilator-associated pneumonia caused by potentially drug-resistant bacteria. Am J Respir Crit Care Med. 1998 ;157:531-9.
2. Porzecanski I, Bowton DL Diagnosis and treatment of ventilator-associated pneumonia. Chest 2006 ; 130:597-604

Question 5 – Comment optimiser secondairement le traitement ?

Les posologies, la voie, les modalités et le rythme d’administration doivent tenir compte des propriétés pharmacocinétiques et pharmacodynamiques des molécules, de la fonction rénale et hépatique du patient, des contre-indications et des interactions avec les autres médicaments du malade [1]. Les antibiotiques « temps-dépendant » doivent en général être perfusés de façon pluriquotidienne, avec un temps de perfusion prolongé (voire en continu ?) pour que la concentration d’antibiotique reste au dessus de la CMI plus de 50% du temps, en particulier dans les infections graves. Les antibiotiques « concentration-dépendant » sont administrés en injection discontinue mais avec une posologie élevée pour obtenir un pic de concentration/CMI ≥8 (par exemple : amikacinre 15 mg/kg, gentamicine ou tobramycine 5 mg/kg en une seule injection par jour)
Dès le deuxième ou troisième jour, le traitement doit être réajusté aux données bactériologiques définitives : changement de classe si le germe s’avère résistant, désescalade chaque fois que cela est possible sous la forme d’une monothérapie avec une molécule à spectre plus étroit et moins chère, voire arrêt de tout traitement antibiotique si des prélèvements bactériologiques « fiables » reviennent négatifs.
Le passage de la voie intraveineuse à la voie entérale peut également être fait si la molécule existe sous cette forme et si l’état du patient le permet.

1. Andes D, Anon J, Jacobs MR, et al. Application of pharmacokinetics and pharmacodynamics to antimicrobial therapy of respiratory tract infections. Clin Lab Med. 2004 ; 24:477-502.

Question 6 – Quand utiliser une association d’antibiotiques ?

Initialement, une association d’antibiotiques s’impose chaque fois qu’il existe un facteur de risque de BMR (P aeruginosa, entérobactéries BLSE, SARM, Acinetobacter, etc.). Plus qu’une synergie et une augmentation de la vitesse de bactéricidie, elle permet d’élargir le spectre de cette antibiothérapie initiale empirique. Actuellement, l’association d’une beta-lactamine à large spectre avec un aminoside semble la plus appropriée. L’adjonction d’un glycopeptide ou d’un autre agent anti-SARM dépend du contexte local, d’un portage connu ou d’un facteur de risque spécifique, ou encore un état de choc.
Au-delà du troisième – cinquième jour, aucune étude n’a pu démontrer de bénéfice en faveur de la bithérapie chez des malades non neutropéniques, résultat confirmé par une méta-analyse [1].

1. Paul M, Soares-Weiser K, Leibovici L. Beta lactam monotherapy versus beta lactam-aminoglycoside combination therapy for fever with neutropenia : systematic review and meta-analysis. BMJ 2003 ; 326:1111.

Question 7 – Quelle durée de traitement ?

Un traitement trop court fait courir le risque de rechute ou d’échec clinique, un traitement trop long de favoriser l’émergence de BMR et de provoquer des effets secondaires.
Des études récentes ont fait évoluer la notion de durée optimale de traitement. La plupart des PAVM peuvent être traitée 8 jours, probablement moins pour les pneumonies précoces dues à des germes très sensibles (5 jours), peut-être plus pour des infections à P aeruginosa, Acinetobacter baumannii… (10 à 14 jours) ou survenant chez des patients fortement immunodéprimés ou neutropéniques (14 jours ou plus). Il n’est cependant pas certain que l’on diminue, en particulier pour les BGN non fermentants, le risque de rechute en prolongeant le traitement si le patient reste soumis à une ventilation mécanique par tube endotrachéal. En revanche, le risque de sélectionner des souches plus résistantes est probablement augmenté.
L’évolution clinique est un critère essentiel, en particulier l’extubation d’un malade avec un état général conservé ou amélioré permet d’abréger souvent le traitement sans grand risque de rechute.
L’évolution d’un marqueur biologique (tel que la PCT avec des valeurs < à 0,5 ng/mL ou une baisse de 80 % par rapport au prélèvement initial) pourrait également aider à la décision d’arrêt [2].

1. Chastre J, Wolff M, Fagon JY, et al Comparison of 8 vs 15 days of antibiotic therapy for ventilator- associated pneumonia in adults : a randomized trial. JAMA. 2003 ; 290 :2588-98.
2. Etude « prorata » en cours de soumission

Question 8 – Quelles mesures préventives minimales doit-on instaurer dans un service de réanimation ?

Une conférence de consensus nationale a porté sur ce sujet en 2008 [1]. Outre les mesures d’hygiène standard, en particulier l’hygiène des mains par l’utilisation des produits hydroalcooliques, et une politique raisonnée des antibiotiques (moins d’antibiotiques, durée plus courte, désescalade, réduction du recours à certaines classes d’antibiotiques), il faut :
 assurer de façon pluriquotidienne une décontamination naso et oropharyngée par une solution antiseptique,
 privilégier l’intubation orotrachéale, utiliser la VNI dans ses indications reconnues,
 maintenir une pression du ballonnet entre 25 et 30 cm d’H2O pour diminuer les microinhalations,
 ne pas maintenir le patient en décubitus dorsal strict, sauf contre-indication médicale,
 décider d’un arrêt quotidien des sédations associé à un algorithme de gestion du niveau de sédation par les infirmières en s’appuyant sur l’évaluation régulière d’un score d’agitation/sédation.

Les autres mesures demeurent encore discutées, en particulier la décontamination digestive sélective plus ou moins associée à une antibiothérapie systémique initiale. Si elle a prouvé une efficacité certaine en terme de pneumonie évitée, voire de mortalité, elle ne s’adresse pas à tous les malades et le risque sur l’écologie bactérienne, probablement faible dans les unités à taux de BMR extrêmement bas, peut devenir un risque réel dans les unités où la prévalence de ces BMR est élevée.

1. 5ème Conférence de Consensus organisée conjointement par la Société de Réanimation de Langue Française – SRLF et la Société Française d’Anesthésie et de Réanimation – SFAR Prévention des Infections Nosocomiales en Réanimation (transmission croisée et nouveau-né exclus)

JL Trouillet