Mis en ligne le 28 juillet 2015
Article du mois

2 études récentes soulignent son intérêt, après chirurgie cardiaque et en réanimation

 


High-flow nasal oxygen vs noninvasive positive airway pressure in hypoxemic patients after cardiothoracic surgery – A randomized clinical trial. 

François Stephan et al. for the BiPOP study group. JAMA 2015. Published online May 17.

Commentaires du Pr Jean-Luc Fellahi, pour le Comité Scientifique de la SFAR 
Rationnel pour l’étude
L’insuffisance respiratoire aiguë est fréquente après chirurgie cardiaque et associée à une augmentation de la morbimortalité. La ventilation non invasive (VNI) est de plus en plus souvent utilisée pour la prévention et le traitement des épisodes aigus d’insuffisance respiratoire, sur la base d’un niveau d’évidence scientifique modéré. La VNI est cependant un acte thérapeutique complexe, pas toujours bien toléré par les patients et inefficace dans environ 20% des cas. L’oxygénothérapie nasale à haut débit via le système Optiflow est une technique simple, bien tolérée et utilisée de manière croissante en pratique clinique. Elle pourrait constituer une alternative intéressante à la VNI.
L’hypothèse de ce travail était que le système Optiflow utilisé en continu ne serait pas inférieur à la VNI intermittente (en moyenne 6h/j) pour la prévention ou le traitement de l’insuffisance respiratoire aiguë après chirurgie cardiaque.
Méthodes
Essai multicentrique français de non infériorité devant inclure 840 patients de chirurgie cardiaque à risque de développer ou développant une insuffisance respiratoire aiguë postopératoire, randomisés après extubation en deux groupes : groupe Optiflow continu versus groupe VNI (BiPAP) intermittente.
Le critère de jugement principal de l’étude était un critère composite d’échec du traitement, associant la réintubation pour ventilation mécanique ou la nécessité de switcher sur l’autre traitement ou l’arrêt prématuré du traitement pour raisons médicales ou à la demande du patient. Les critères conduisant à la réintubation étaient préétablis.
Les critères de jugement secondaires étaient nombreux et incluaient les modifications des paramètres physiologiques respiratoires à 1h et entre 6 et 12h après la mise en route du traitement dans chaque groupe, un score de dyspnée, un score de confort sous traitement, un score de tolérance cutanée des dispositifs, les complications respiratoires et extra-pulmonaires et le nombre de fibroscopies bronchiques réalisées sous traitement. S’y associaient a posteriori le nombre d’interventions des infirmières pour réajuster les dispositifs et la mortalité globale.
L’analyse statistique était réalisée en intention de traiter et l’objectif de non infériorité concernait le critère principal tandis qu’un objectif de supériorité était testé sur les critères secondaires.
Résultats
830 patients sur les 840 initialement prévus ont pu être inclus dans l’étude de juin 2011 à janvier 2014 : 414 dans le groupe Optiflow et 416 dans le groupe VNI. Tous les patients ont reçu le traitement qui leur était assigné et ont été inclus dans l’analyse. Les caractéristiques cliniques et démographiques des patients étaient identiques dans les deux groupes.
Concernant le critère de jugement principal : l’hypothèse de non infériorité de l’Optiflow sur la VNI était vérifiée (échec du traitement dans respectivement 21,0% [IC 95% : 17,2-25,3] et 21,9% [IC 95% : 18,0-26,2]). La différence absolue de risque était de 0,9% [IC 95% : -4,9 à 6,6], P=0,003.
Concernant les critères de jugement secondaires : le rapport P/F et la fréquence respiratoire étaient significativement plus élevés dans le groupe VNI tandis que la PaCO2 et les scores de dyspnée et de confort sous traitement étaient identiques dans les deux groupes. La tolérance cutanée des dispositifs était meilleure avec le système Optiflow. Il n’y avait pas de différence significative pour l’ensemble des autres critères de jugement secondaires.
Commentaires
Les auteurs de ce travail concluent que le système Optiflow utilisé en continu n’est pas inférieur à la VNI intermittente et que leurs résultats supportent l’utilisation de l’Optiflow comme alternative à la VNI pour la prévention ou le traitement de l’insuffisance respiratoire aiguë après chirurgie cardiaque.
Il s’agit incontestablement d’une importante étude, au demeurant 100% française, qui pose une question à la fois pertinente et pragmatique. Le travail est globalement bien fait et les conclusions de l’étude paraissent valides. En particulier, le choix d’une étude de non infériorité est cohérent quand il s’agit d’évaluer une technique (l’Optiflow) prétendue moins invasive, possiblement mieux tolérée et plus simple à mettre en œuvre pour les soignants. La publication est accompagnée d’un éditorial. Plusieurs points méthodologiques peuvent néanmoins être discutés :
Le choix de la VNI intermittente dans le groupe contrôle dans la mesure où le niveau de preuve permettant de la considérer comme une méthode de référence est relativement faible. L’alternative aurait consisté à conduire une étude de supériorité comparant l’Optiflow à un standard de soins usuels incluant ou pas la VNI intermittente ;
La décision (il est vrai pragmatique) de mélanger les patients à risque de développer une insuffisance respiratoire aiguë avec ceux développant effectivement la complication, probablement plus graves à l’inclusion dans l’étude ;
Le critère de jugement principal composite plaçant à un niveau clinique équivalent la réintubation, l’arrêt prématuré du traitement pour inconfort à la demande du patient et la possibilité anecdotique de switcher d’un traitement à l’autre ;
La décision arbitraire et inhabituellement large des auteurs fixant la limite de non infériorité à 9%. Ce point est d’ailleurs souligné fort justement dans l’éditorial. Les résultats de l’étude suggèrent en effet que l’Optiflow pourrait aussi bien réduire de 6,6% qu’augmenter de 4,9% l’incidence d’échec du traitement.
Au final, l’interprétation que l’on aura de cette étude différera probablement selon que l’on est déjà adepte de l’Optiflow ou au contraire non adepte de ce système. Il n’en reste pas moins que l’Optiflow est probablement amené à se développer dans les mois et années à venir en réanimation, la simplicité d’utilisation étant un élément essentiel de son succès. Paul Valery disait : « Ce qui est simple est toujours faux, ce qui ne l’est pas est inutilisable ». De manière plus anecdotique, depuis que nous l’utilisons en routine à Lyon dans le service de réanimation chirurgicale cardiothoracique, les dépenses pharmaceutiques relatives à la consommation d’oxygène ont très sensiblement augmentées.

High-flow oxygen through nasal cannula in acute hypoxemic respiratory failure. 

JP Frat, AW Thile, A Mercat et al. New Engl J Med.  May 21, 2015.

Commentaire d’article par PF Perrigault pour le comité réanimation
Introduction
Chez les patients en insuffisance respiratoire aiguë (IRA), le recours à la ventilation mécanique est associé à une mortalité importante. La ventilation non invasive (VNI) a montré son intérêt pour réduire le recours à l’intubation chez les patients BPCO décompensés (1) ou en OAP (2), en revanche son bénéfice, en cas de détresse respiratoire aigüe non hypercapnique, est moins clair. L’oxygénothérapie à haut débit (OHD), chez les patients en IRA, est mieux tolérée et apporte une meilleure oxygénation que l’O2 délivrée via un masque facial (OS) (3). L’effet de l’OHD sur l’intubation et la mortalité n’a jamais été évalué chez des patients admis en réanimation pour une IRA.
Objectif de l’étude
Comparer l’efficacité de la VNI, de l’OHD et de l’OS chez des patients en IRA, sans hypercapnie.
Méthode
Il s’agit d’une étude multicentrique (23 réanimations françaises et belges), contrôlée, randomisée (ratio 1/1/1), en intention de traiter, de supériorité. Les critères d’inclusion étaient: patients > 18 ans hospitalisés en réanimation, présentant une IRA définie par FR > 25 cycles/mn, PaO2/FiO2 < 300 (sous au moins 10 litres O2 pendant 15 MN) et une PaCO2  < 45 mmHg. Les critères d’exclusions étaient: pathologie respiratoire chronique, OAP, instabilité hémodynamique et défaillance neurologique. Dans le groupe OS les patients respiraient via un masque facial à haute concentration avec un débit de 10 litres/mn ou plus pour obtenir une SaO2 > 92  %. Dans le groupe OHD, l’O2 était délivré chauffé et humidifié par une canule bi-nasale (débit 50 L et FiO2 ajustée pour obtenir une SaO2 > 92  %). Enfin, dans le groupe VNI, l’aide était réglée de façon à obtenir un VT expiré entre 7 et 9 ml/kg de poids idéal théorique et la FiO2 et la PEP (entre 2 et 10 cmH2O) ajustées pour obtenir une SaO2 > 92  %, sur une durée d’au moins 8h / j (par séance d’une heure minimum). Le critère de jugement principal était la proportion de patient intubés dans les 28 jours suivant la randomisation (des critères spécifiques d’intubation étaient définis); les critères de jugement secondaires étaient la mortalité à J 90, la mortalité en réanimation, la durée de séjour en réanimation et le nombre de jour vivant sans ventilation invasive dans les 28 premiers jours.
Résultats
330 patients ont été inclus sur 26 mois (94 OS, 106 OHD, 110 VNI). Les caractéristiques à l’inclusion étaient similaires et la cause principale se l’IRA était une pneumonie communautaire dans 64% des cas. Le taux d’intubation à J 28 était de 38 % dans le groupe OHD, 47 % dans le groupe OS et 50 % dans le groupe VNI (différence non significative p = 0,18). La mortalité en réanimation et à J 90 est significativement plus basse dans le groupe OHD (12 %) que dans les 2 autres groupes (OS: 23 %, VNI: 28%) avec un odd ratio de 2.01 (IC 95%, 1.01-3.99, p=0.02) pour OS comparée à OHD et de 2,5 (IC 95%, 1.31-4.78, p=0.02) pour VNI comparée à OHD. Cette mortalité à J 90 reste significativement plus basse après ajustement au SAPS 2. Le nombre de jours vivant sans ventilation invasive à J 28 est significativement plus élevé dans le groupe OHD (p=0.02). Dans une analyse post hoc sur le taux d’intubation à J 28 chez les patients ayant initialement un rapport PaO2/FiO2 < 200, le taux est significativement plus bas dans le groupe OHD (35%) vs les deux autres groupes (OS: 53%, VNI: 58 %) p = 0.009. Enfin, après une heure d’enrôlement le confort et la dyspnée sont améliorés dans le groupe OHD.
Discussion
L’intérêt de cette étude résulte dans le fait que l’OHD n’avait jamais été évaluée dans le cadre de l’IRA chez des patients admis en réanimation. Celle ci montre que l’OHD fait aussi bien que la VNI dans cette situation voire même serait plus performante chez les patients les plus hypoxiques. Les résultats bénéfique de cette technique sur la mortalité sont surprenants et pourraient être expliqués par une mortalité légèrement plus faible chez les patients intubés dans le groupe OHD et par un taux d’intubation plus faible dans le groupe OHD, deux études avaient suggéré que l’échec de la VNI pouvait augmenter la mortalité en raison d’une intubation retardée (4,5), cependant dans cette étude il n’y a pas de différence en terme de délai d’intubation ou de causes d’intubation entre les groupes. Un élément en défaveur de la VNI est peut être le niveau de volume courant qui excède 9 ml/kg de poids idéal et qui pourrait induire des lésions de volo-traumatisme. Les résultats de cette étude montrent que l’OHD peut être une option thérapeutique pertinente chez des patients admis en réanimation pour une IRA non hypercapnique, d’autant qu’elle semble mieux tolérée sur le plan du confort et de la dyspnée que la VNI ou l’OS.
Points forts
Méthodologie de l’étude: multicentrique, randomisée
Critères précis d’intubation
Différence significative de mortalité à J 90
Points faibles
Pas de résultat significatif sur le critère principal lié au manque de puissance par surestimation du taux prévisible d’intubation. Nécessité d’une analyse post hoc sur le sous groupe PaO2/FiO2 < 200 pour mettre en évidence un résultat significatif sur le critère principal.

(1) L Brochard et al, N Engl J Med 1995;333:817-22.

(2) J  Massip et al, JAMA 2005; 294:3124-30.
(3) SM Maggiore et al, Am J Respir Crit Care Med 2014; 190: 282-8.
(4) A Carillo et al, Intensive Care Med 2012; 38: 458-66.
(5) A Esteban et al, N Engl J Med 2004; 350: 2452-60.