Commentaire de l’article : Effect of Reduced Exposure to Vasopressors on 90-Day Mortality in Older Critically Ill Patients With Vasodilatory Hypotension. A Randomized Clinical Trial. Lamontagne F et al. JAMA 2020;323(10):938-949. doi: 10.1001/jama.2020.0930.

Article commenté par : Emmanuel FUTIER (CHU Clermont-Ferrand) et Matthieu BIAIS (CHU Bordeaux) pour le comité scientifique de la SFAR

 

Contexte

Le maintien d’une pression de perfusion tissulaire est indispensable afin de limiter le risque de dysfonction d’organe. La question du niveau optimal de pression artérielle à cibler reste toutefois largement débattue.

Les recommandations de 2016 de la Surviving Sepsis Campaign1 et les recommandations communes SFAR et SRLF2 proposent, respectivement, de cibler une pression artérielle moyenne (PAM) de 65 mmHg à la phase initiale de la prise en charge des patient en sepsis ou en choc septique et une PAM entre 60 et 70 mmHg chez les patients à risque ou présentant une insuffisance rénale aigue en réanimation et en péri-opératoire. Une analyse de sous-groupe post hoc de l’étude SEPSISPAM3 a suggéré qu’un niveau de PAM plus élevé (80-85 mmHg) pourrait être bénéfique chez les patients présentant une hypertension artérielle chronique limitant le risque de recours à une épuration extra-rénale sans toutefois qu’un bénéfice en termes de mortalité ait été identifié dans cet essai.

Toutefois, les vasopresseurs ont des effets pléiotropiques4 rendant difficile la prédiction de leurs effets globaux et une administration excessive de vasopresseurs, notamment lorsqu’un niveau de PAM élevée est ciblé, expose à un risque d’effets indésirables potentiels (vasoconstriction mésentérique, immunodépression, augmentation de la glycogénolyse hépatique et la néogluconéogenèse, …) voire de mortalité plus importante chez les patients les plus âgés.5

 

Question posée par l’essai 65

Évaluer si une réduction de l’exposition aux vasopresseurs en ciblant un objectif d’hypotension artérielle permissive relative (60-65 mmHg), chez des patients âgés de plus de 65 ans présentant une hypotension consécutive à une vasoplégie et recevant un vasopresseur, était associée à une réduction de mortalité à J90 par rapport à la prise en charge habituelle.

 

Méthodologie

  • Design de l’étude: étude pragmatique, multicentrique, prospective, randomisée, en ouvert, conduite dans 65 services de réanimation adulte polyvalente (Grande-Bretagne) entre 2017 et 2019.
  • Population de l’étude:
    • Critères d’inclusion :
      • Âge ≥ 65 ans
      • Hypotension artérielle définie comme consécutive à une vasoplégie par le médecin en charge
      • Initiation d’un traitement vasopresseur depuis 1 heure au moins, après ou pendant un remplissage vasculaire jugé satisfaisant
      • Randomisation dans les 6 heures suivant l’initiation du vasopresseur
      • Durée de traitement vasopresseur estimée ≥ 6 heures
    • Critères d’exclusion :
      • Vasopresseur pour hémorragie, insuffisance cardiaque, vasoplégie post-CECContre-indication à une hypotension permissive (traumatisme crânien ou médullaire)
      • Mortalité estimée imminente
      • Inclusion précédente dans l’essai
  • Intervention: randomisation (ratio 1:1) stratifiée par centre avec permutation par blocs de taille variable en 2 groupes :
    • Groupe hypotension permissive : vasopresseurs pour une cible une PAM de 60-65 mmHg. Adhésion au protocole appréciée sur la réduction de posologie (ou l’arrêt) du vasopresseur en cas de PAM > 65 mmHg (limites d’alarme fixées sur les moniteurs afin d’inciter à diminuer ou à augmenter la posologie). La noradrénaline, la vasopressine, la terlipressine, la phényléphrine, l’épinéphrine, la dopamine et le métaraminol (agoniste α-1 non disponible en France) étaient utilisables.
    • Groupe soins habituels : vasopresseurs pour une cible une PAM laissée à la discrétion du médecin en charge du patient.
  • Critères de jugement:
    • Critère principal : Mortalité toutes causes confondues à J90
    • Critères secondaires (principaux) :
      • Mortalité à la sortie de réanimation et de l’hôpital
      • Durée d’assistance ventilatoire (ventilation invasive et non-invasive) et d’épuration extra-rénale
      • Nombre de jours en vie et sans assistance (ventilatoire ou rénale)
      • Durée de séjour en réanimation et à l’hôpital
      • Qualité de vie à J90 et à 1 an (questionnaire EuroQoL EQ-5D)
  • Statistiques: 2600 patients étaient nécessaires pour montrer une réduction absolue du risque de mortalité de 6% à J90 dans le groupe interventionnel (mortalité attendue de 35% dans le bras soins habituels versus 29% dans le bras interventionnel), avec une puissance de 90% et un risque alpha bilatéral de 5%.
  • Ajouter ici les analyses de sensibilité prévues

L’analyse principale était réalisée sans ajustement. Des analyses secondaires sur le critère principal étaient réalisées après ajustement sur des covariables prédéfinies (âge, sexe, HTA chronique, insuffisance cardiaque chronique, maladie athéromateuse, dépendance pour les activités quotidiennes, localisation avant admission en réanimation, urgence de la chirurgie, score ICNARC, présence d’un sepsis ou choc septique (critères sepsis-3), vasopresseurs au moment de la randomisation, et durée du traitement vasopresseur avant la randomisation. De même, des analyses de sensibilité étaient réalisées 1/ en n’incluant que les patients jugés éligibles dans la version finale du protocole et 2/ en considérant les patients ayant des données manquantes sur le critère principal comme vivants (si randomisés dans le bras hypotension permissive) et décédés (si randomisés dans le bras en soins habituels), et réciproquement.

 

Résultats principaux

Sur les 10755 patients évalués pour éligibilité 6484 (60%) présentaient les critères d’inclusion et 2600 patients ont été randomisés. Parmi ceux-ci, 2463 patients ont été inclus dans l’analyse principale (1221 patients dans le bras hypotension permissive et 1242 patients dans le bras soins habituels) avec un âge moyen de 75 ± 7 ans. Les 2 groupes présentaient des caractéristiques similaires au moment de la randomisation : hypertension artérielle chronique (46%), sepsis (30%) et choc septique (48%). Avant randomisation, la PAM moyenne était de 70 mmHg dans le bras hypotension permissive et 71 mmHg dans le bras soins habituels (durée médiane de traitement vasopresseur avant randomisation de 186 min).

La noradrénaline était le vasopresseur utilisé en priorité après randomisation (78% des cas). La durée totale de traitement vasopresseur était de 33h (intervalle interquartile [IQR], 15 à 56) dans le bras hypotension permissive et 38h (IQR, 19 à 67) dans le bras soins habituels (différence, -5.0 h ; intervalle de confiance [IC] 95%, −7,8 à −2,2). Les valeurs de PAM (jusqu’à J7 post-randomisation) chez les patients traités par vasopresseurs étaient significativement plus basses dans le bras hypotension permissive que dans le bras soins habituels : médiane 66,7 mmHg (IQR, 64,5 à 69,8) pour les patients du bras hypotension permissive vs 72,6 mmHg (IQR, 69,4 à 76,5) pour les patients du bras soins habituels (différence, −5.9 mmHg [IC95%, −6,4 à −5,5]). Le nombre d’heures avec une PAM > 65 mmHg et une PAM entre 60 et 65 mmHg étaient également différents entre les 2 groupes, sans différence du nombre d’heures avec une PAM < 60 mmHg.

À J90, il n’existait pas de différence statistiquement significative de mortalité entre les groupes (41% vs 43.8% ; différence absolue, -2,85% [IC95%, −6,75 à 1,05]). Après ajustement sur les covariables prédéfinies, l’odds ratio pour la mortalité à J90 était de 0,82 (IC95%, 0,68 à 0,98). Les analyses de sensibilité rapportaient un odds ratio non-ajusté de 0,74 (IC95%, 0,63 à 0,87) et de 1,08 (IC95%, 0,93 à 1,27) dans le meilleur et le pire scénario, respectivement.

Il n’existait pas de différence statistiquement significative concernant les différents critères de jugements secondaires. Les tests d’interaction n’étaient pas statistiquement significatifs pour les différents sous-groupes évalués (âge, insuffisance cardiaque chronique, maladies athéromateuses, risque de décès prévisible, sepsis, dose de vasopresseurs). Toutefois, dans le sous-groupe des patients hypertendus chroniques (test d’interaction, P = 0,047), la proportion de patients décédés à J90  était plus importante dans le groupe hypotension permissive (38,2%) que dans le groupe soins habituels (44,3%) (odds ratio ajusté 0,67 [IC95%, 0,49 à 0,85]).

Il n’existait pas de différences d’effets indésirables ni de co-interventions (corticoïdes, balance liquidienne, diurèse) entre les groupes.

 

Interprétation

Que retenir de cette étude ? Un objectif de PAM plus bas permet évidemment une moindre exposition des patients aux vasopresseurs (dose totale et durée d’administration diminuées). Pour autant, faut-il conclure qu’un objectif de PAM de 60-65 mmHg est optimal chez tous les patients ? Probablement pas. L’essai 65 est techniquement une étude négative qui ne permet pas, de fait, de conclure à la supériorité de cette stratégie thérapeutique, aucune différence n’ayant été identifiée entre les groupes que ce soit pour le critère principal de jugement (différence attendue de 6% comprise dans l’intervalle de confiance 95%) ou pour les critères secondaires prédéfinis. Pour autant, il est exact qu’aucune étude n’a démontré le bénéfice d’une stratégie thérapeutique consistant à augmenter artificiellement la pression artérielle en ciblant une valeur fixe et donnée de pression. Même si cette étude n’a pas été construite pour cette analyse et que la puissance statistique ne permet évidemment pas de conclure définitivement, les résultats de l’étude 65, comme ceux précédemment d’une méta-analyse de données individuelles incluant celles de l’étude SEPSISPAM, suggèrent néanmoins qu’une cible de pression artérielle un peu plus basse (60-65 mmHg) pourrait être suffisante, y compris chez les patients âgés présentant une hypertension artérielle chronique. Une gestion personnalisée de la pression artérielle adaptée à la physiologie individuelle de chaque patient et en fonction du contexte clinique, comme proposée dans l’étude INPRESS,6 apparait néanmoins comme une alternative thérapeutique raisonnable.

 

Points forts de cette étude :

  • Large essai multicentrique prospectif incluant divers groupes de patients de réanimation
  • Analyse réalisée en intention de traiter
  • Contrairement à l’étude SEPSISPAM précédemment, une distinction claire entre les niveaux cibles de PAM a pu être obtenue entre les 2 groupes
  • Randomisation rapide (dans les 6 heures) après initiation du traitement vasopresseur
  • Évaluation de score de qualité de vie après sortie de réanimation (J90 et 1 an)

 

Points faibles de cette étude :

  • Étude ouverte
  • Objectifs de pression artérielle laissés à l’appréciation du médecin en charge du patient dans le bras soins habituels
  • Pas de standardisation du remplissage vasculaire (même si la balance liquidienne de J1 à J7 était comparable entre les groupes)
  • Hétérogénéité des vasopresseurs utilisés (choix également laissé à l’appréciation du médecin en charge ) même si la noradrénaline était majoritairement utilisée
  • Durée de traitement vasopresseur relativement courte (médiane de 38 heures dans le bras soins habituels) contrastant avec celle de l’étude SEPSISPAM (moyenne de 4 jours) ainsi qu’avec la gravité de la population de l’étude (score APACHE II > 20 dans les 2 groupes à la randomisation)
  • Puissance statistique ne permettant pas de conclure quant aux résultats des analyses de sous-groupes
  • Analyse de sous-groupe (patients avec vs sans hypertension artérielle chronique) non ajustée pour comparaisons multiples.

Conclusion de l’étude 65

Chez les patients âgés de 65 ans ou plus recevant des vasopresseurs pour une hypotension consécutive à une vasoplégie, une hypotension permissive ciblant une PAM entre 60 et 65 mmHg n’a pas entraîné de réduction statistiquement significative de la mortalité à 90 jours par comparaison à une stratégie habituelle de soins.

Références

  1. Rhodes A, Evans LE, Alhazzani W, et al. Surviving Sepsis Campaign: International Guidelines for Management of Sepsis and Septic Shock: 2016. Intensive Care Med. 2017;43(3):304-377.
  2. Ichai C, Vinsonneau C, Souweine B, et al. Acute kidney injury in the perioperative period and in intensive care units (excluding renal replacement therapies). Anaesth Crit Care Pain Med. 2016;35(2):151-165.
  3. Asfar P, Teboul JL, Radermacher P. High versus low blood-pressure target in septic shock. N Engl J Med. 2014;371(3):283-284.
  4. Andreis DT, Singer M. Catecholamines for inflammatory shock: a Jekyll-and-Hyde conundrum. Intensive Care Med. 2016;42(9):1387-1397.
  5. Lamontagne F, Day AG, Meade MO, et al. Pooled analysis of higher versus lower blood pressure targets for vasopressor therapy septic and vasodilatory shock. Intensive Care Med. 2018;44(1):12-21.
  6. Futier E, Lefrant JY, Guinot PG, et al. Effect of Individualized vs Standard Blood Pressure Management Strategies on Postoperative Organ Dysfunction Among High-Risk Patients Undergoing Major Surgery: A Randomized Clinical Trial. JAMA. 2017;318(14):1346-1357.