Titre en anglais : Recurrence of breast cancer after regional or general anaesthesia: a randomized controlled trial

Sessler D, Pei L, Huang Y, et al.

Lancet, October 20, 2019.

Synthèse proposée par le comité douleur-ALR pour le CS de la SFAR 

Rationnel : Trois facteurs périopératoires sont susceptibles de diminuer l’immunité et par ce fait la défense de l’organisme contre la récidive d’un cancer lors d’une intervention chirurgicale pour cancer de sein. Il s’agit de la réponse au stress, l’utilisation d’anesthésiques volatiles et les opioïdes pour l’analgésie. Tous ces facteurs peuvent être réduits par le recours à  l’analgésie locorégionale.

Méthode : Les auteurs de cet article ont testé l’hypothèse selon laquelle la récidive d’un cancer du sein après un traitement chirurgical serait plus faible lors d’une anesthésie au propofol associant un bloc paravertébral que sous anesthésie générale au sévoflurane associant une analgésie aux opioïdes. La deuxième hypothèse évaluée par cette étude était que l’analgésie locorégionale réduirait la douleur persistante postopératoire. Il s’agit d’un essai contrôlé randomisé. Des femmes de moins de 85 ans avec un cancer du sein primaire potentiellement curatif ont été randomisées dans 13 hôpitaux. Le critère de jugement principal était la récidive locale ou métastatique du cancer du sein. Le critère de jugement secondaire était la douleur cicatricielle à 6 mois et à 12 mois.  Les analyses du critère principal ont été effectuées selon les principes de l’intention de traiter. L’étude a été interrompue après qu’une limite de futilité préétablie ait été franchie.

Résultats : 2132 femmes ont été incluses. 1043 ont été affectées au groupe avec analgésie locorégionale et propofol et 1065 à l’anesthésie générale au sévoflurane. Les groupes avaient des caractéristiques comparables. Parmi les femmes à qui ont été assigné une anesthésie au propofol et un bloc paravertébral (BPV), 102 (10%) récidives ont été signalées, comparativement à 111 (10%) récidives parmi les patientes ayant reçu une anesthésie générale au sévoflurane avec analgésie aux opioïdes (RR 0.97, IC 95% : 0.74-1.28 ; p=0-84.

La douleur chronique postopératoire a été rapportée chez 442 (52%) des 856 patientes affectées à une anesthésie au propofol associée à une analgésie locorégionale et 456 (52%) patientes ayant reçu une anesthésie générale au sévoflurane avec analgésie au opioïdes. La douleur neuropathique ne différait pas selon la technique d’anesthésie et a été signalée chez 10% et 7% des patientes, respectivement à 6 et 12 mois. Seules les NVPO étaient moins fréquentes dans le groupe bloc paravertébral + propofol.

Conclusion : L’analgésie locorégionale par bloc paravertébral associée à une anesthésie générale par propofol n’a pas réduit l’incidence des récidives du cancer du sein après chirurgie par rapport à l’anesthésie volatile au sévoflurane associée à une  analgésie aux opioïdes. L’incidence et les caractéristiques neuropathiques de la douleur chronique persistante postopératoire après chirurgie du sein n’ont pas été affectées par la technique anesthésique.

La recherche dans son contexte : La relation présumée entre l’analgésie régionale et la récidive du cancer est basée sur des preuves mécanistiques et animales, ainsi que sur des analyses observationnelles. Le stress chirurgical, les anesthésiques volatils et les opioïdes réduisent tous la résistance au cancer chez les rongeurs. Plusieurs petits essais cliniques ont également été réalisés au cours desquels des patients ont été affectés au hasard à l’analgésie régionale pour d’autres raisons et ont par la suite fait l’objet d’une nouvelle analyse de la récurrence du cancer. Les résultats cliniques ont été contradictoires, certains rapportant moins de récidives avec l’anesthésie régionale et  d’autres non.

Cette étude a le mérite d’avoir été conçue pour répondre à la question de la réduction de la récidive  dans un essai contrôlé randomisé chez des femmes ayant des résections primaires du cancer du sein potentiellement curatives. Si les résultats de ce large essai ont permis de conclure assez solidement que l’analgésie locorégionale par bloc paravertébral  et anesthésie au propofol ne réduit pas la récurrence du cancer du sein, d’autres essais sont nécessaires pour évaluer les avantages potentiels de l’analgésie régionale chez les patients qui subissent des interventions plus importantes  provoquant plus de stress chirurgical, causant plus de douleurs et nécessitant plus d’opioïdes.

Avis de l’expert : Ces résultats doivent être considérés avec précaution car la lecture attentive de l’article montre  que la réduction de morphine obtenue dans le groupe anesthésie locorégionale est faible (10 MEQ) en peropératoire et nulle en postopératoire. D’autre part, la douleur postopératoire est faible dans la population de l’étude, la consommation de morphine dans les deux groupes étant égale à zéro à 48h. Une autre limite de cette étude est que les inclusions ont débuté en 2007, à une époque où les blocs para vertébraux étaient encore peu réalisés sous échographie, avec une efficacité probablement aléatoire et limitée, les techniques étant laissées à l’appréciation des centres et, comme les scores de douleur, non détaillées dans l’article. Enfin les chirurgies ne sont pas uniformes (même si elles sont appariées), allant de la tumorectomie et ganglion sentinelle à la mastectomie avec prothèse.

Ce qu’il faut retenir : Finalement, cet article est rassurant puisqu’il souligne qu’une épargne de 10 mg de morphine peropératoire obtenue par l’utilisation de l’analgésie locorégionale ne change rien ni à l’évolution du cancer, ni à la persistance de douleur postopératoire. En revanche, ces résultats ne sont pas transposables chez les patientes qui subissent des interventions plus lourdes qui provoquent plus de stress chirurgical, causent plus de douleur et nécessitent plus d’opioïdes en périopératoire. Comme le soulignent les auteurs eux-mêmes dans leur conclusion, d’autres essais sont nécessaires pour préciser les avantages potentiels de l’analgésie régionale chez ces patientes en termes de prévention des récidives de cancer et de douleurs persistantes.