Mis en ligne le 27 septembre 2017
Article du mois

Auteurs : P Innerhofer, D Fries et collaborateurs. Lancet haematol, 2017;4:e258-e271.

Commentaires : Delphine Garrigue Huet et Anne Godier pour le Comité Urgence de la SFAR

Rationnel :

La présence d’une coagulopathie aigue du traumatisé (CAT) aggrave la mortalité. La CAT résulte de mécanismes spécifiques, incluant une hyperfibrinolyse, une anticoagulation systémique par le biais de l’activation de la protéine C, une dysfonction endothéliale et plaquettaire, qui s’associent à la perte, la dilution, la consommation des facteurs de coagulation et des plaquettes et aux effets de l’acidose, de l’hypocalcémie et de l’hypothermie. Le traitement précoce de la CAT diminue la mortalité mais ses modalités restent débattues1. En particulier, la place des concentrés de facteurs de coagulation (CFC), seuls ou associés à la transfusion de plasma frais congelé (PFC), apparait comme une option thérapeutique intéressante mais n’a jamais fait l’objet d’une évaluation rigoureuse montrant, ou non, un bénéfice clinique.

L’hypothèse principale des auteurs de l’essai RETIC est que l’administration de CFC associant concentrés de complexe prothrombinique (CCP), concentrés de fibrinogène et/ou concentrés de facteur XIII (FXIII) à la phase initiale de la prise en charge du traumatisé entrainerait un contrôle rapide de la CAT par l’apport massif et rapide de facteurs de coagulation, sans induire d’hémodilution, et limiterait ainsi le saignement, l’instabilité hémodynamique, le recours à la transfusion et donc l’apparition d’un syndrome de défaillance multiviscérale (SDMV).

Pour explorer cette hypothèse, les auteurs ont comparé l’efficacité des CFC à celle du PFC pour réduire la survenue de SDMV chez des traumatisés graves présentant une CAT au ROTEM.

Méthodologie :

RETIC est une étude prospective, monocentrique, en ouvert, randomisée. Etaient inclus les patients traumatisés avec risques ou signes de saignement et présentant une CAT sur le ROTEM définie par FibA10 < 9 mm ou ExCT > 90s. Les patients étaient randomisés en 2 groupes. Dans le groupe PFC, ils bénéficiaient de l’injection de 15 ml/kg de PFC. Dans le groupe CFC, ils recevaient 50 mg/kg de fibrinogène et/ou 20 UI /kg de CCP en fonction respectivement d’un FibA10 < 9mm et/ou d’un ExCT > 90 s. Du FXIII (20 UI/kg) était injecté si le saignement clinique persistait et si la concentration en FXIII< 60% après deux doses de fibrinogène. Pour l’évaluation clinique du saignement, les auteurs utilisaient un score ainsi défini : 0 = Pas de saignement ; 1 = saignement adapté avec coagulation clinique normale ; 2 = Saignement diffus anormal au niveau des plaies et des points de ponction ; 3 = saignement majeur avec recours à une transfusion > 3 CGR/h.

La coagulopathie était jugée corrigée quand FibA10 > 8mm et ExCT < 78s et que le score de saignement était de 0 ou 1. Le traitement était jugé inefficace si malgré deux doses, les paramètres ROTEM n’étaient pas corrigés et/ou si le saignement persistait (score 2 ou 3). Un traitement de sauvetage était alors entrepris et les traitements interchangés (fibrinogène +/- CCP+/- XII dans le groupe PFC et vice versa).

Le critère de jugement principal était l’apparition d’un SDMV dans les sept premiers jours. Les critères secondaires  étaient nombreux : durée de séjour en réanimation et à l’hôpital, hémodiafiltration, séjour sans ventilation, sepsis, infection, évènement thromboembolique veineux, embolie pulmonaire, mortalité hospitalière, à H24 et à J30, nombre de concentrés de globules rouges (CGR) et concentrés plaquettaires transfusés les 24 premières heures, paramètres ROTEM, délai avant le premier traitement, délai de correction de la coagulopathie, score SOFA ajusté à l’ISS, défaillance multiviscérale à J7 ajustée à l’ISS et à la présence d’un traumatisme crânien. Le calcul d’effectif avait conclu à la nécessité d’inclure 100 patients par groupe pour pouvoir montrer une différence sur le critère de jugement principal.

Résultats :

Une analyse intermédiaire réalisée après l’inclusion de 100 patients entre mars 2012 et février 2016 a permis d’analyser en intention de traiter 94 dossiers (n=50 dans groupe CFC et n=44 dans le groupe PFC). L’analyse du critère de jugement principal était négative, il n’y avait pas de différence dans l’incidence du SDMV entre les groupes CFC (n=25, 50 %) et PFC (n=29, 66%) (OR 1,92 IC 95% 0,78-4,86 ; p=0,15). Une analyse post-hoc, avec ajustement sur l’ISS et sur l’existence d’un traumatisme crânien permettait cependant aux auteurs de conclure à une augmentation du risque de SDMV dans le groupe PFC (OR 3,13 IC 95% 1,19-8,88, p= 0,025].

Les auteurs poursuivaient ensuite les analyses post-hoc et per-protocole et séparaient les patients en 3 groupes : CFC seuls (n=48), PFC seuls (n=21), PFC puis CFC en traitement de sauvetage (n=23). Cette répartition permettait aux auteurs de montrer que l’incidence du SDMV était plus élevée dans le groupe PFC ayant nécessité un traitement de sauvetage (18/23, 78%) que pour les patients ayant reçu uniquement des CFC (23/44, 48%) [OR 3,84 (1,13-15,44) ,p= 0,021]. Dans le groupe CFC, 100% des patients recevaient des concentrés de fibrinogène, seuls 16 % bénéficiaient de CPC. Dans le groupe PFC, du fibrinogène était administré à 52 % des patients.

Les délais de traitement et de correction de la coagulopathie étaient plus court dans le groupe CFC, respectivement 10 (10-16) min vs 50,5 (39,5-70,0) min et 22,5 (14-40) min vs 128 (48-186) min, p<0,0001. La correction de la coagulopathie était obtenue dès la première dose plus fréquemment dans le groupe CFC (76% vs 27%; OR 8,22 IC 95% 3,06-23,78 ; p= 0,0001]. Autant de patient dans les deux groupes nécessitaient une deuxième dose (20%), le nombre de récidive hémorragique dans les 24 premières heures était similaire dans les deux groupes. Le recours à un traitement de sauvetage était supérieur dans le groupe PFC (52%) vs CFC (4%). Après la première dose de traitement, les scores de saignement à 2 ou 3 étaient plus fréquents dans groupe PFC (p=0,0004) et ceci était corrélé à une transfusion massive (>10 CGR/24h) plus fréquente (p=0,0001).

Le taux de mortalité était de 7 %, sans différence entre les 2 groupes (CFC n=5, PFC n=2). Etonnement, aucun patient ne décédait de choc hémorragique ni durant les 24 premières heures. Il n’y avait pas de différence dans la survenue d’évènement thrombotique (Echo-doppler des membres inférieurs systématique entre J7 et J10).

Sur les paramètres ROTEM de l’EXTEM, ExAlpha et ExA10 s’aggravaient après traitement par PFC alors qu’ils se corrigeaient après CFC. Le FibA10 ainsi que la concentration de fibrinogène restaient insuffisant après PFC et se normalisaient avec les CFC.

Les auteurs soulignaient l’importance d’une supplémentation précoce en fibrinogène. L’incidence supérieure de SDMV, d’échec de traitement et de risque de transfusion massive après traitement par PFC conduisaient les auteurs à conclure à la supériorité du traitement par CFC et à stopper l’étude après cette analyse intermédiaire.

POINTS FORTS :

– Etude prospective randomisée comparant des thérapeutiques accessibles et connues de tous les centres de traumatologie de niveau 1.

– Problématique actuelle.

– Pas d’augmentation des complications thrombotiques avec les CFC, mais l’effectif est faible et n’est pas adapté pour conclure. En particulier, il y a 6% d’embolie pulmonaire dans le groupe CCP contre 2,3% dans le groupe PFC.

POINTS FAIBLES :

– L’analyse du critère de jugement principal ne montre pas de différence entre les deux groupes, ce qui devrait conduire à conclure à une étude négative, bien que ce soit en analyse intermédiaire. Seule une analyse post-hoc menée par les auteurs permet de rendre la différence entre les groupes positive et de conduire à une conclusion enthousiaste.

– Le second critère de jugement utilisé, la correction de la coagulopathie prête à discussion. Elle repose d’une part sur un score de saignement qui est un score personnel des auteurs. Il est certes pragmatique et clinique mais reste très subjectif et n’est validé dans aucune littérature. Il repose d’autre part sur deux paramètres du ROTEM, le FibA10 et l’ExCT. Le FibA10 est un reflet de la concentration en fibrinogène. Il est donc attendu que l’apport de fibrinogène augmente la concentration en fibrinogène et donc le FibA10, mode d’évaluation qui favorise les chances de succès du traitement par CFC. A l’inverse, il n’est pas attendu que la transfusion de PFC ait des effets sur le FibA10. Enfin, le lien entre l’amélioration du FibA10 et la mortalité n’est pas établie. Pas plus que celui de l’augmentation de la concentration en albumine après perfusion d’albumine et la mortalité chez le patient dénutri…

– Le nombre élevé d’analyses post-hoc ou per-protocole, habituellement peu recommandées par les méthodologistes, dessert les résultats car il suscite le doute du lecteur.

– La population cible pose problème. Environ 10 % de patients n’ont reçu aucune transfusion de CGR ; aucun patient n’est décédé précocement de choc hémorragique ni durant les 24 premières heures. Les patients inclus ressemblent peu à nos populations de traumatisés sévères. Cette constatation va à l’encontre des études récentes évaluant l’impact du traitement initial, dans la prise en charge des traumatisés sévères compliqués d’une coagulopathie 2.

– Les critères d’inclusion reposent principalement sur des paramètres ROTEM et n’incluent pas la nécessité de transfusion précoce. Les paramètres ROTEM choisis (FibA10 < 9 mm ou ExCT > 90s) ne sont pas validés dans la littérature. Que ce soit pour prédire une CAT, une transfusion massive ou la mortalité, il est étonnant de ne pas utiliser l’EXTEM A5 ou A10 pour appuyer une augmentation du CT et le seuil choisi pour le Fib A10 est très haut voire même décrit comme normal 3-5.

– Le critère de jugement principal est l’apparition d’un SDMV en réanimation dans les 7 premiers jours de la prise en charge n’est probablement pas le paramètre le plus pertinent pour juger de la prise en charge initiale d’un choc hémorragique. C’est un critère classique jugé le plus souvent en objectif secondaire. L’étude PROPPR a montré que la stratégie initiale de prise en charge était surtout pertinente à court terme sur la mortalité précoce par exsanguination et sur l’hémostase durant les 6 premières heures 2.

– Posologie du PFC : L’HAS recommande une posologie de 10 à 15 ml/kg de PFC pour les hémorragies d’intensité modérée, peu évolutive ou contrôlée 6. Dans cette étude jugeant de l’efficacité comparée des PFC ou des CFC dans le choc hémorragique ou des situations à risque de transfusion massive, la posologie est probablement insuffisante. De même, plusieurs études récentes proposent d’augmenter la posologie à 30 ml/kg et/ou d’augmenter les ratio CGR/PFC à 1/1 en situation de choc hémorragique 7,8. Dans cette étude la posologie étudiée et les ratios sont inférieurs aux doses recommandées.

– Fibrinogène : Dans ce travail, sont visés des objectifs transfusionnels avec une concentration en hémoglobine > 8 g/dL, une numération plaquettaire entre 50 et 100 109/L mais aucun seuil bas de fibrinogène n’est fixé. Les auteurs concluent que 15 ml/kg de PFC est insuffisant pour corriger la coagulopathie du fait entre autres d’une hypofibrinogénie mais ne suivent pas les recommandations internationales récentes 9. Seuls 52 % des patients ont reçu des concentrés de fibrinogène dans le groupe PFC contre 100% dans le groupe CFC avec une posologie moindre. Seuls 16 % des patients reçoivent des CPC dans le groupe CFC ce qui permet aux auteurs, qui évaluaient initialement l’intérêt de 3 CFC, de détourner les résultats et de conclure à un bénéfice des concentrés de fibrinogène.

– L’arrêt prématuré de l’étude ne permet pas de conclure sur la mortalité. Or, on pourra noter que la mortalité hospitalière est deux fois plus élevée dans le groupe de patients ayant reçu des concentrés de facteurs. Un effectif plus important aurait permis de déterminer si cette différence était significative, ou non…

Au total, RETIC est un essai randomisé monocentrique en ouvert négatif. Arrêté de façon prématurée en analyse intermédiaire, il ne permet pas de conclure sur le critère de jugement principal et ne tranche pas sur l’efficacité des concentrés de facteurs pour réduire les défaillances multiviscérales comparativement aux PFC.

Malgré des limites méthodologiques nombreuses, il suggère que l’administration de concentrés de facteurs de la coagulation, essentiellement de fibrinogène, à l’arrivée de traumatisés présentant une coagulopathie pourrait permettre de réduire le risque de transfusion massive. Mais des études complémentaires, évaluant l’efficacité des concentrés sur des critères de jugement robustes et prédéfinis avec rigueur sont nécessaires avant de modifier nos pratiques.

Alors que cette pratique, reposant sur la complémentarité des produits, a émergé en France ces dernières années, RETIC en opposant deux stratégies, celle de la transfusion à celle des concentrés, ne permet pas de conclure sur la place des concentrés de fibrinogène en association à la transfusion de plasma lors de la prise en charge initiale. C’est regrettable.

Références

1-Holcomb JB, Fox EE, Zhang X et al. Cryoprecipitate Use in the Prospective Observational Multicenter Major Trauma Transfusion study (PROMMTT). J Trauma Acute Care Surg 2013, 75(1): 31–9.

2-Holcomb JB et al. Transfusion of plasma, platelets, and red blood cells in a 1:1:1 vs a 1:1:2 ratio and mortality in patients with severe trauma: the PROPPR randomized clinical trial. JAMA 2015, 313(5):471-82.

3-Veigas PV et al. A systematic review on the rotational thrombelastometry (ROTEM®) values for the diagnosis of coagulopathy, prediction and guidance of blood transfusion and prediction of mortality in trauma patients. Scandinavian Journal of Trauma, Resuscitation and Emergency Medicine 2016, 24:114-28.

4- Da Luz et al. Effect of thromboelastography (TEG®) and rotational thromboelastometry (ROTEM®) on diagnosis of coagulopathy, transfusion guidance and mortality in trauma: descriptive systematic review. Crit Care 2014,18(5):518-35.

5- Lang T et al. Multi-centre investigation on reference ranges for ROTEM thromboelastometry. Blood Coagul Fibrinolysis 2005,16(4): 301-10.

6- Transfusion de plasma thérapeutique : produits, indications. Recommandations HAS 2012

7- Chowdhury P et al. Efficacy of standard dose and 30 ml/kg fresh frozen plasma in correcting laboratory parameters of haemostatic in critically ill patients. BJH 2004, 125 :69-73

8- Khan et al. Hemostatic resuscitation in neither hemostatic nor resuscitative in trauma hemorrhage. J Trauma Acute Care Surg 2014, 76(3) :561-7.

9- Rossaint R et al. The European guideline on management of major bleeding and coagulopathiy following trauma : fourth edition. Crit Care 2016, 12 :20-100.