COVIDSurg Collaborative and GlobalSurg Collaborative. Anaesthesia. 2021 Mar 9. Online ahead of print. doi: 10.1111/anae.15458.

 

Article commenté pour le comité scientifique de la SFAR par Axel Maurice-Szamburski, MD., Anesthésie Réanimation, Clinique Juge ; PhD., Centre d’Étude et de Recherche sur les Services de Santé et la Qualité de Vie, Marseille.

 

Ce que nous savons déjà sur le sujet

Les données de la cohorte prospective multicentrique internationale COVIDSurg Collaborative ont précédemment suggéré un risque de décès ou de complications pulmonaires postopératoires importants chez les patients qui bénéficient d’une chirurgie dans un contexte d’infection à SARS-CoV-2.1 Des dizaines de millions de patients à travers le monde ont été infectés par le SARS-CoV-2. Le nombre de patients ayant été atteint ne cessant de croitre, le recours à une chirurgie dans cette population devient une situation commune, mais le délai à respecter après une infection par le SARS-CoV-2 reste à déterminer.

La SFAR a émis des recommandations de pratiques professionnelles qui préconisent le report d’une intervention chirurgicale réglée de 2 semaines minimum à partir de l’apparition de symptômes en lien avec une infection par le SARS-CoV-2. Ce report est porté à 3 semaines en cas de forme sévère, ainsi que chez le patient de plus de 65 ans ou immunodéprimé.2

Le groupe collaboratif international d’investigateurs COVIDSurg, comprenant des anesthésiste-réanimateurs et chirurgiens, vient de publier les données d’une nouvelle étude dont les conclusions suggèrent que le délai du report de chirurgie après une infection à SARS-CoV-2 devrait être d’au moins 7 semaines afin de diminuer le risque de mortalité à 30 jours et les complications pulmonaires postopératoires.

 

Méthodologie

Cette douzième étude publiée par le groupe COVIDSurg avait pour objectif principal l’évaluation du délai optimal pour une intervention chirurgicale après une infection par le SARS-CoV-2. Toutes les chirurgies, réglées ou urgentes, réalisées chez l’adulte et l’enfant au décours du mois d’octobre 2020 étaient éligibles. N’étaient pas éligibles à l’inclusion, les procédures effectuées en dehors du bloc opératoire ou par des non-chirurgiens. Étaient notamment exclues de l’analyse les endoscopies digestives, bronchiques, nasales ou laryngées ; les coronarographies ou procédures percutanées de cardiologie interventionnelle ou médecine vasculaire ; les infiltrations ou biopsies sous anesthésie locale ainsi que les ponctions ou poses de drains divers (une liste complète des procédures concernées est fournie à l’annexe S1, Table S15 de l’article).

Les patients étaient considérés comme ayant eu une infection à SARS-CoV-2 s’ils présentaient, avant l’intervention, au moins un des 5 critères suivants : une RT-PCR réalisée sur prélèvement nasopharyngé, un test antigénique rapide, un scanner thoracique compatible avec une pneumopathie secondaire à une infection par SARS-CoV-2, la présence d’immunoglobulines de type G ou M, ou un diagnostic clinique (en l’absence d’un résultat négatif de la RT-PCR). Les patients diagnostiqués en postopératoire, entre J0 et J30, étaient exclus de l’analyse. Les patients étaient classés comme asymptomatiques, symptomatiques mais dont les symptômes étaient résolus, ou symptomatiques avec des symptômes persistants. Enfin, le délai entre le diagnostic de l’infection et le jour de l’intervention chirurgicale était défini selon les catégories suivantes : 0-2 semaines ; 3-4 semaines ; 5-6 semaines ; et ≥ 7 semaines.

 

Critères de jugement et analyse statistique

Le critère de jugement principal était la mortalité à 30 jours. Le critère de jugement secondaire était l’incidence de complications pulmonaires évaluées selon un critère composite combinant la survenue d’une pneumopathie, d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë ou une mise sous ventilation mécanique inattendue (Appendice S1 de l’article). Les données manquantes étaient incluses dans l’analyse descriptive, sans imputation.

Afin d’ajuster le délai entre le diagnostic de l’infection et la chirurgie, et tenir compte de facteurs de confusion potentiels, un ajustement par régression logistique a été réalisé avec des co-variables précédemment identifiées comme des facteurs prédictifs indépendants de mortalité chez les patients atteints d’une infection périopératoire par le SARS-CoV-2.

Des analyses de sensibilité, exprimées en pourcentage de mortalité ajustées, étaient également réalisées incluant 1) uniquement les patients opérés d’une chirurgie réglée et 2) uniquement les patients qui avaient une infection au SARS-CoV-2 prouvée par RT-PCR sur écouvillon nasopharyngé ou qui n’étaient pas infectés.

 

Résultats

Un total de 140 231 patients, adultes et enfants compris (32102 [22,9%] âgés de moins de 29 ans), a été inclus dans 1674 hôpitaux à travers 116 pays. Parmi eux, 3 127 patients (2,2%) ont présenté un diagnostic positif au SARS-CoV-2, selon les critères établis par l’étude. La majorité des patients était asymptomatique au moment de la chirurgie. Le taux de mortalité globale était de 1,5%. Les caractéristiques des patients ayant présenté une infection préopératoire à SARS-CoV-2 étaient significativement différentes de celles des patients non exposés, en termes de score ASA ≥ 3 (32,0% vs 24,5%) et de recours à une chirurgie majeure (64,2% vs 59,6%) ou urgente (43,7% vs 30,2%).

 

La mortalité à 30 jours des patients ayant présenté une infection à SARS-CoV-2 était de 9,1% (104 patients sur1138) pour un diagnostic entre 0 et 2 semaines avant la chirurgie ; 6,9% (32 patients sur 461) entre 3 et 4 semaines ; 5,5% (18 patients sur 326) entre 5 et 6 semaines ; et 2,0% (24 patients sur 1202) après 7 semaines. La mortalité des patients exempts d’infection préopératoire à SARS-CoV-2 était de 1,4% (Tableau 1 de l’article).

 

Après ajustement, par rapport aux patients n’ayant pas été infectés, le risque de mortalité à J30 était majoré chez les patients infectés : odds ratio (OR) 3,22 (IC 95% 2,55 à 4,07) pour un diagnostic entre 0 et 2 semaines avant la chirurgie ; OR 3,03 (IC 95% 2,03 à 4,52) entre 3 et 4 semaines ; OR 2,78 (IC 95% 1,64 à 4,71) entre 5 et 6 semaines. Il n’existait pas de risque majoré de mortalité à J30 pour une infection au-delà de 7 semaines avant la chirurgie (OR 1,02 ; IC 95%, 0,66 à 1,56) (Tableau 2 de l’article). Toutefois, les patients ayant présenté une infection au moins 7 semaines avant l’intervention, mais toujours symptomatiques au moment de la chirurgie, présentaient également une surmortalité à 30 jours (OR 5,42 ; IC 95% 3,53 à 8,34) (Tableau S7 du supplément de l’article).

L’analyse de sensibilité incluant uniquement les patients opérés d’une chirurgie réglée a confirmé le risque d’une mortalité majorée à J30 pour une infection jusqu’à 7 semaines avant la chirurgie (Figure 1 et Tableau S3 du supplément de l’article).

Un peu moins de 3% des patients de l’étude ont présenté une complication pulmonaire postopératoire selon la définition retenue du critère composite (3938 patients sur les 140 231 de l’étude). L’analyse globale ainsi que les différentes analyses de sensibilités retrouvaient une association statistiquement significative entre ce critère composite et l’infection préopératoire à SARS-CoV-2 (Figure 4 et Tableau S9 du supplément de l’article). De la même façon que pour le critère de jugement principal, une association statistique n’était pas identifiée en cas d’infection au-delà de 7 semaines avant l’intervention chirurgicale.

 

Discussion

Les études concernant la mortalité postopératoire des patients présentant une infection récente à SARS-CoV-2 sont peu nombreuses. Elles adressent principalement le contexte de l’urgence du fait des politiques de santé restrictives mise en œuvre à travers le monde pour la chirurgie réglée. 3–5

Dans la population étudiée, un antécédent d’infection à SARS-CoV-2 dans les 7 semaines précédant une intervention chirurgicale était significativement associé à une surmortalité dans les 30 jours postopératoire et à une augmentation des complications pulmonaires.

La mortalité postopératoire globale de la population étudiée était de 1,5%. Ce taux est comparable à celui observé dans les pays occidentaux pour la chirurgie réglée (1,85%).6 Toutefois, la chirurgie urgente représentait 30,5% (n=42778) de l’effectif total de l’étude et il aurait pu être attendu que ceci soit responsable d’une augmentation de la mortalité globale observée. L’article ne présente pas le détail des causes de décès et ne détaille pas les types d’interventions pratiquées mais les classes selon leur indication (bénigne, traumatologie ou cancer) et leur grade (mineur : 40,2%, n=56 416 ; majeur : 59,8%, n=83 782) tel que défini par la classification du British United Provident Association (BUPA).7

La plupart des patients non exposés à l’infection par SARS-COV2 ont été opérés dans des pays à hauts revenus (65,7%, n=90 024) alors que les patients ayant été infectés semblent sur représentés dans les pays à bas revenus.8 Enfin, la part de chirurgies urgentes était logiquement plus élevée dans la classe des patients ayant été diagnostiqués entre 0 et 2 semaines avant l’intervention (Table 1 de l’article).

Rappelons également que la population des patients présentant une infection préopératoire à SARS-CoV-2 étaient significativement différente de la population de patients non exposés.

La régression logistique utilisée, après avoir converti les délais d’infection en classe, était supposée ajuster les covariables observées afin d’identifier les facteurs indépendamment associés avec la mortalité et le taux de complications pulmonaires. Toutefois, les modalités anesthésiques, profils de dégradation pulmonaire, types de traitements mis en œuvre, durées de séjours et causes précises de décès ne semblent pas avoir été colligés.

 

Ce que cet article nous apporte

Cette étude renforce l’attitude actuelle consistant à rechercher systématiquement les symptômes compatibles avec l’infection par SARS-CoV-2 lors de la consultation et de la visite préanesthésique,2 les formes symptomatiques étant les plus associées à une augmentation du risque de morbi-mortalité postopératoire.

Chez le sujet asymptomatique, un dépistage systématique n’est actuellement pas recommandé en dehors de la chirurgie aérosolisante ou majeure.2 Les résultats de l’étude analysée associent toutefois ces formes asymptomatiques d’infection à SARS-CoV-2 à une surmortalité postopératoire quand la chirurgie a lieu dans les 7 semaines suivantes.

Les auteurs rapportent une augmentation de la morbi-mortalité chez les patients opérés moins de 7 semaines après l’infection et même après si des symptômes sont toujours présents le jour de l’intervention. Ces conclusions sont en partie à l’origine de l’actualisation du consensus anglais sur la programmation chirurgicale des patients ayant été atteint par le SARS-CoV-2.9

En France, de nouvelles recommandations sont désormais nécessaires et feront prochainement l’objet d’une publication officielle de la SFAR.

 

Bibliographie

  1. Quemeneur, Cyril. Commentaire de l’article: ‘Mortality and pulmonary complications in patients undergoing surgery with perioperative SARS-CoV-2 infection: an international cohort study’. (2020).
  2. Recommandations de Pratiques Professionnelles – Préconisations pour l’adaptation de l’offre de soins en anesthésie-réanimation dans le contexte de pandémie de COVID-19. (2020).
  3. Doglietto, F. et al. Factors Associated With Surgical Mortality and Complications Among Patients With and Without Coronavirus Disease 2019 (COVID-19) in Italy. JAMA Surg. 155, 1–14 (2020).
  4. Mortality and pulmonary complications in patients undergoing surgery with perioperative SARS-CoV-2 infection: an international cohort study. Lancet Lond. Engl. 396, 27–38 (2020).
  5. Clement, N. D. et al. IMPACT-Restart: the influence of COVID-19 on postoperative mortality and risk factors associated with SARS-CoV-2 infection after orthopaedic and trauma surgery. Bone Jt. J. 102-B, 1774–1781 (2020).
  6. Noordzij, P. G. et al. Postoperative mortality in The Netherlands: a population-based analysis of surgery-specific risk in adults. Anesthesiology 112, 1105–1115 (2010).
  7. United Provident Association. Schedule of procedures. (2021).
  8. Mortality of emergency abdominal surgery in high-, middle- and low-income countries. Br. J. Surg. 103, 971–988 (2016).
  9. El-Boghdadly, K. et al. SARS-CoV-2 infection, COVID-19 and timing of elective surgery: A multidisciplinary consensus statement on behalf of the Association of Anaesthetists, the Centre for Peri-operative Care, the Federation of Surgical Specialty Associations, the Royal  College of Anaesthetists and the Royal College of Surgeons of England. Anaesthesia (2021) doi:10.1111/anae.15464.