Mis en ligne le 19 décembre 2016
Article du mois

Olivier Joannes-Boyau pour le comité Réanimation de la SFAR

Analyse de deux articles récents et complémentaires sur le délai d’initiation de l’épuration extra-rénale (EER) chez le patient souffrant d’atteinte rénale aiguë (ARA) en réanimation.

Etude AKIKI

Gaudry S, et al. Initiation Strategies for Renal-Replacement Therapy in the Intensive Care Unit. N Engl J Med. 14 juillet 2016; 375(2):122‑33.

Etude ELAIN

Zarbock A, et al. Effect of Early vs Delayed Initiation of Renal Replacement Therapy on Mortality in Critically Ill Patients With Acute Kidney Injury: The ELAIN Randomized Clinical Trial. JAMA. 24 mai 2016;315(20):2190‑9.

Objectif : L’objectif de cette étude était d’évaluer l’impact sur la mortalité à J60 d’une initiation précoce ou tardive de l’épuration extrarénale (EER), chez des patients au moins au stade 3 de KDIGOObjectif : L’objectif de cette étude était d’évaluer l’impact sur la mortalité à J90 d’une initiation précoce (KDIGO stade 2) ou tardive (KDIGO stade 3) de l’EER.
Matériel et méthode :

Essai randomisé contrôlé multicentrique.La population éligible était composée des patients sous ventilation mécanique et/ou sous noradrénaline avec comme critère d’inclusion la survenue d’une atteinte rénale aiguë stade KDIGO 3 (créatinine x3 ou > 354 µmol/l , diurèse < 0,3 ml/kg pendant > 24 h ou anurie > 12 h ).

La stratégie précoce nécessitait la mise en place de l’EER dans les 6 heures après la constatation du stade KDIGO 3 alors que la stratégie tardive consistait à attendre la survenue de critères d’urgence métabolique ou d’une anurie/oligurie > 72 h pour l’initiation de la technique.

Le choix de la technique d’EER était laissé à la discrétion des cliniciens.

Le critère de jugement principal était la mortalité à J60.

Matériel et méthode :

Essai randomisé contrôlé mono-centrique dans un service de réanimation chirurgicale.Les critères d’inclusions étaient la survenue d’une insuffisance rénale aiguë KDIGO 2 (créatinine x2 et diurèse < 0,5 ml/k/h pendant > 12 h) et NGAL > 150 ng/ml. L’EER précoce devait être instituée dans les 8 heures qui suivaient la survenue d’une IRA KDIGO 2. L’EER tardive devait être instituée dans les 12 heures suivant la survenue du stade KDIGO 3 d’IRA ou si urgence métabolique.

Le critère de jugement principal était la mortalité à J90.

Résultats :

620 patients ont été inclus, 308 dans le groupe tardif, 312 dans le groupe précoce.Il n’existait pas de différence de mortalité à J60 entre les deux groupes (48.5 % [42.6-53.8] vs 49.7% [43.8-55.0]).

61% des patients du groupe tardif vivants à J60 n’ont finalement pas été épurés. Les causes d’initiation de l’EER dans le groupe tardif étaient : atteinte du taux d’urée limite défini (1/3 des patients), plus de 72 heures d’oligurie (1/3), et acidose métabolique (1/4).

Il n’existait pas de différence de récupération de la fonction rénale entre les 2 groupes malgré une reprise de diurèse plus précoce dans le groupe tardif. Il y avait plus d’infection de cathéters dans le groupe précoce (10% vs 5%, p=0,03).

Résultats :

231 patients ont été inclus, 112 dans le groupe précoce et 119 dans le groupe tardif.Parmi eux, 100% des patients du groupe précoce et 91% du groupe tardif ont été épurés. L’EER était instituée dans les 6 h [4-7] dans le groupe précoce et dans les 25 h [18,8 – 40,3] dans le groupe tardif. La mortalité était plus faible dans le groupe EER précoce que tardive (39,3% vs 54,5%), p=0,03. La récupération rénale avait tendance à être plus importante dans le groupe précoce (53% versus 38%), p=0,07 et la durée de l’EER était également plus courte dans le groupe précoce (- 18 jours), p=0,04.

Discussion :

Les critères de choix pour initier une EER restent débattus et se baser uniquement sur un score (KDIGO ici) reste assez éloigné des pratiques et des recommandations. En effet, il semble préférable d’utiliser un faisceau d’arguments et d’évaluer l’évolutivité de l’insuffisance rénale ainsi que les co-morbidités et les défaillances associées pour décider de la mise en route de l’EER

L’inclusion d’atteinte rénale possiblement encore fonctionnelle et pouvant répondre à un remplissage vasculaire alors même que nous n’avons pas d’information précise sur l’optimisation volumique des patients.

La définition d’EER précoce qui pour certains est déjà tardive et pourrait finalement revenir à comparer un groupe tardif avec un groupe très tardif

Il existe 35% de mortalité dans le groupe tardif jamais dialysé et 65% chez les tardifs finalement dialysé ce qui amène à penser qu’il existe une hétérogénéité importante chez les patients où les patients moins graves seront donc moins épurés et décéderont moins. Qu’en est-il dans le groupe précoce ? impossible à dire puisque tous sont hémofiltrés. Finalement la pratique d’EER dite « précoce » était probablement trop précoce pour certains patients et le tardif potentiellement trop tardif chez un certain nombre de malades. En quelque sorte, la constitution artificielle des 2 groupes de cette étude a entrainé une caricature de la pratique quotidienne en dialysant trop précocement certains patients et trop tardivement d’autres.

La reprise de diurèse plus précoce dans le groupe tardif est difficile à interpréter car les patients tardifs ont reçu plus de traitements médicaux à visée rénale (diurétique, alcalinisation, etc.)

L’analyse post-hoc présentée dans le « supplementary material » montrent un bénéfice à démarrer plus précocement l’EER chez les patients les plus graves.

L’hypothèse principale de l’étude était une supériorité de la stratégie d’initiation tardive, la mortalité comparable des deux groupes permet de réfuter cette hypothèse mais ne permet pas de dire que les deux stratégies sont identiques.

Discussion :

La majorité des patients vont être finalement épurés dans cette étude sauf 11/119 dans le groupe tardif et donc la seule différence restait le délai d’EER qui est de 19h plus court dans le groupe précoce. Il est étonnant que cette petite différence puisse aboutir à une réduction de 18 jours d’EER, -15% de mortalité, -15% de récupération rénale.

La population étudiée comportait un grand nombre de patients en post-chirurgie cardiaque et la majorité des patients avaient une balance hydrosodée de + 6 litres après le bloc dans chaque groupe. Aucune information ne nous est donnée sur les paramètres d’EER et notamment la perte hydrique patient.

Par ailleurs, une épuration plus précoce des marqueurs biologiques inflammatoires et rénaux rapportée par les auteurs n’a jamais fait la preuve de son impact sur la mortalité et les résultats d’épuration des cytokines présentés dans cette étude sont très supérieurs aux études précédents sur le sujet. Les auteurs ne donnent pas d’explication sur cette épuration très importante des cytokines en comparaison aux études antérieures.

Le nombre de jours sans EER faisait partie des critères de jugement principaux hors les critères d’arrêt de l’EER ne sont pas définis dans l’étude, alors que c’est monocentrique et non aveugle.

Le NGAL qui était un paramètre pour appuyer la réalité de la défaillance et possiblement éliminer les ARA « fonctionnelles » n’est en fait discriminant que sur 3 patients.

Conclusion :

Nous avons donc 2 études randomisées contrôlées qui ont des résultats contradictoires mais qui ne s’opposent pas complétement si on y regarde de plus près. L’étude AKIKI est négative car l’effet potentiellement bénéfique d’une épuration précoce est contrebalancé par l’effet également possiblement bénéfique de ne pas épurer des patients qui finalement n’enauront pas besoin. La précocité de la mise en route de l’EER est à discuter quand on voit dans le flow-chart que 600 patients ayant les critères d’inclusions sont finalement exclus car recevant déjà de l’EER. Cela réduit donc la portée de l’étude sur la population générale de réanimation. De son coté l’étude ELAIN est positive en faveur de l’EER précoce mais il semble que ce bénéfice majeur soit le résultat d’une amélioration rapide de la balance hydrosodée dans une population particulièrement vulnérable à l’hypervolémie.

Au final, aucune réponse définitive, si ce n’est que baser l’initiation de l’EER uniquement sur un score de gravité d’atteinte rénale quel qu’il soit semble une mauvaise solution et qu’une initiation raisonnée de l’EER basée sur la rapidité d’évolution du malade, ses co-morbidités, les défaillances d’organes associées, et la balance hydrosodée est une attitude probablement plus justifée. Il faudra attendre les études en cours (STARRT et IDEAL-ICU) sur le même sujet pour voir si il est possible d’évoluer vers une stratégie plus globale de mise en route de l’EER.