Tranexamic acid for the prevention of blood loss after cesarean delivery

The New England Journal of Medicine 384;17 nejm.org April 29, 2021.

L Sentilhes, MV Sénat, M Le Lous, N Winer, P Rozenberg, G Kayem, E Verspyck, F Fuchs, E Azria, D Gallot, D Korb, R Desbrière, C Le Ray, C Chauleur, F de Marcillac, F Perrotin, O Parrant, LJ Salomon, E Gauchotte, F Bretelle, N Sananès, C Bohec, N Mottet, G Legendre, V Letouzey, B Hassad, D Vardon, H Madar, A Mattuizzi, V Daniel, S Regueme, C Roussillon, A Bernard, A Georget, A Darsonval and C Deneux-Tharaux for the Groupe de Recherche on Obstétrique et Gynécologie (GROG)

Article commenté pour le comité scientifique de la SFAR par MP Bonnet

 

Ce que nous savons déjà sur le sujet

L’hémorragie du postpartum constitue une des causes les plus fréquentes de mortalité et de morbidité maternelle dans le monde et en France. Sentilhes et al. ont publié dans le numéro du 29 avril 2021 du New England Journal of Medicine un essai français randomisé multicentrique en double- aveugle (TRAAP2) explorant l’efficacité préventive de l’injection d’acide tranexamique (TXA) sur la survenue d’une hémorragie du postpartum (HPP) dans un contexte de césarienne. Le premier essai, TRAAP1, s’intéressait au contexte de l’accouchement par voie basse.

Le rationnel de ces 2 études repose sur l’efficacité démontrée de l’administration précoce de TXA à diminuer significativement d’une part la mortalité en cas de traumatisme extra-crâniens (CRASH-1) et en cas de traumatismes crâniens légers à modérés (CRASH3) et d’autre part les besoins transfusionnels dans le contexte de la chirurgie programmée (Ker K et al. BMJ 2012).

Dans le contexte de l’hémorragie obstétricale, un premier essai français de petite taille, coordonné par AS Ducloy-Bouthors, l’essai EXADELI, montrait des résultats prometteurs en faveur de l’utilisation curative de TXA chez les femmes présentant une HPP. Cependant, dans ce travail, la transposition de ces résultats à la pratique a été limitée par la faible différence de pertes sanguines observée entre les 2 groupes, les fortes doses d’acide tranexamique utilisées et l’absence d’aveugle. En 2017, a été publié dans The Lancet l’essai multicentrique randomisé contrôlé WOMAN incluant plus de 20 000 femmes et qui rapportait une diminution significative avec l’administration de TXA, de la mortalité par choc hémorragique chez les femmes présentant une HPP. Le bénéfice sur la mortalité était d’autant plus important que le TXA était administré précocement, comme dans le contexte du traumatisme sévère. Néanmoins, la généralisation des résultats de l’essai WOMAN à la pratique obstétricale dans les pays à niveaux de ressources élevés reste actuellement discutée, compte tenu de l’inclusion très majoritaire de femmes accouchant dans des pays à faibles niveaux de ressources. Les données de sécurité issues de ces essais de grande taille sont très rassurantes :  aucune augmentation significative des complications thromboemboliques chez les patients traités par TXA n’était rapportée.

Dans l’essai TRAAP1, aucune différence significative n’était observée entre les patientes traitées par TXA (1g) versus placebo concernant la survenue d’une HPP définie par des pertes sanguines supérieures ou égales à 500 mL et mesurées par un sac collecteur (critère de jugement principal) : groupe TXA 156/1921 femmes (8.1%) vs. Groupe placebo : 188/1918 (9.8%) ; RR = 0.83(0.68-1.01), p=0.07). Cependant une diminution significative de l’incidence d’une HPP en faveur du groupe TXA était observée dans 2 sous-groupes particuliers : les femmes qui accouchaient par voie basse instrumentale et celles qui avaient eu une épisiotomie. De même, la proportion de femmes avec des pertes sanguines strictement supérieures à 500 ml était significativement diminuée chez les femmes traitées préventivement par TXA versus placebo. Ainsi, même si certains résultats de l’essai TRAAP1 étaient encourageants, du fait de l’absence de différence concernant le critère de jugement principal les pratiques n’ont pas été modifiées.

Dans le contexte de la césarienne, la littérature disponible sur l’efficacité préventive du TXA se limitait jusqu’ à présent à des essais randomisés présentant des biais méthodologiques importants : il s’agissait d’essais mono-centriques de petite taille, sans mesure précise des pertes sanguines et sans aveugle, avec un biais d’attrition important. Ainsi se justifiait la réalisation d’un essai multicentrique de grande taille et de qualité méthodologique, dans lequel l’HPP était définie par des pertes sanguines mesurées de manière fiable et reproductible.

Méthodes

TRAAP 2 est une étude française prospective multicentrique en double aveugle contre placebo, dont le but est d’explorer si l’administration de TXA permet de diminuer l’incidence de l’HPP après césarienne. La population d’étude était constituée de femmes accouchant par césarienne, en dehors ou au cours du travail, après 34 semaines d’aménorrhée, avec une grossesse simple ou multiple entre mars 2018 et janvier 2020. Étaient exclues les femmes présentant des facteurs de risque de pathologie thrombotique artérielle ou veineuse, ou de pathologie hémorragique, des antécédents de convulsion ou d’épilepsie, une barrière de la langue, et enfin les femmes dont le taux d’hémoglobine plasmatique était < 9,0g/dL la semaine précédant l’accouchement.

Les femmes étaient randomisées en 2 groupes : traitement par TXA (1g) ou placebo, injecté dans les 3 minutes suivant la naissance, après clampage du cordon et administration de molécules utérotoniques selon les habitudes du service (oxytocine 5 à 10UI ou carbétocine 100 mg). La randomisation était stratifiée par centre et par type de césarienne.

Critères de jugement

Le critère de jugement principal de TRAAP2 était l’incidence d’HPP, définie par des pertes sanguines calculées > 1000 mL ou par une transfusion en concentrés globulaires au cours des 2 premiers jours postopératoires.

Le calcul des pertes sanguines (PS) était réalisé à partir du produit du volume sanguin total par la variation périopératoire de l’hématocrite (Ht) :

PS  calculées =  (poids grossesse (kg) x 85 x (Ht preop-Ht postop) / Ht preop) ;

L’hématocrite préopératoire était mesurée dans les 8 jours précédant l’intervention et l’hématocrite postopératoire à J2.

Les critères de jugement secondaires étaient notamment les pertes sanguines mesurées (bols de recueil d’aspiration peropératoire et pesée des compresses), la survenue d’une HPP selon l’estimation du clinicien, l’utilisation d’oxytociques supplémentaires, le recours à la transfusion et le recours à des traitements invasifs de seconde ligne.

La taille de l’effectif a été calculée a priori : pour mettre en évidence une différence relative de 20% d’incidence d’HPP (PS calculées) entre TXA (12% d’HPP) et placebo (15% d’HPP) avec une puissance de 80% et un risque alpha bilatéral à 5% ; 4072 femmes devaient être incluses au minimum.

Résultats principaux

Au total, 4431 femmes furent incluses dans l’essai. Après exclusion des femmes randomisées mais inéligibles, de celles ayant retiré leur consentement, celles accouchant par voie basse et celles avec donnée manquante pour le critère de jugement principal, 2086 femmes furent incluses dans le groupe acide tranexamique et 2067 dans le groupe placebo (analyse en intention de traiter modifiée).

Les caractéristiques des femmes et de la prise en charge étaient similaires entre les 2 groupes. A noter que 71 % des femmes incluses ont accouché par césarienne en dehors du travail et 29 % au cours du travail.

Chez les femmes traitées par TXA, l’incidence de l’HPP à partir des PS calculées était de 26,7% (556/2086 femmes) vs 31,6% (653/2067) dans le groupe placebo (p=0,0033), avec un RR ajusté sur le centre et le type de césarienne de 0,84 (IC95% 0,75-0,94).

Aucune différence significative n’était observée entre les 2 groupes concernant l’incidence de l’HPP selon le clinicien (TXA : 13,6% vs 14,8%), RR ajusté sur le centre et le moment de réalisation de la césarienne (aRR)=0,92 (IC95% 0,79-1,08), p=0,37), les taux de transfusion (TXA 1,9% vs placebo 1,8%, p=0,76), l’utilisation curative de molécules utérotoniques ou d’interventions de seconde ligne (embolisation ou chirurgie en urgence).

Les pertes sanguines calculées étaient significativement diminuées dans le groupe TXA par rapport au groupe placebo (TXA 680 ± 748 mL vs. placebo 787 ± 750 mL, Différence Moyenne -107mL (-152 à 63 mL), p<0,001), de même que les variations péripartum du taux d’hématocrite (TXA -3,5 % ± 3,7 vs. placebo 4,0 % ± 3,7 %, DM 0,53 (0,31 à 0,75), p<0,001). Cependant cette différence significative n’était pas observée pour les pertes sanguines mesurées (TXA : 689 ± 887 mL vs. Placebo : 719 ± 920 mL, différence moyenne -33mL (-77 à 11mL), p=0,21).

La survenue de nausées et vomissements per et postopératoires étaient significativement plus fréquente chez les femmes traitées par TXA (43% vs. 36%, p<0,001). Inversement, aucune différence n’était observée concernant les évènements thrombo-emboliques postopératoires (TXA : 0,4% vs. placebo 0,1%, aRR : -4,01 ; 95% CI : 0,85-18,92 p=0,08).

Discussion

Les auteurs de cette étude concluent que l’administration préventive de TXA chez les femmes accouchant par césarienne et traitées par utérotoniques diminue la survenue d’une HPP, définie par des pertes sanguines >1000mL calculées à partir des variations périopératoires d’hématocrite ou la transfusion de CG dans les 48h postopératoires, mais sans diminuer la survenue d’évènements secondaires importants, tels que le recours à la transfusion sanguine ou à des interventions de seconde ligne, et sans augmenter l’incidence d’événement thrombo-embolique. Compte tenu de la différence significative des taux d’hématocrite sur laquelle repose le résultat principal, les auteurs suggèrent que le TXA aurait une efficacité « biologique », mais que la signification clinique de ce résultat est faible.

Le design et la qualité méthodologique de l’essai TRAAP2 en constituent les forces principales. Jusqu’à présent la littérature ne permettait pas de répondre à la question de l’efficacité du TXA dans la prévention de l’HPP chez une femme accouchant par césarienne.

Cependant il faut noter que l’incidence de l’HPP retrouvée dans cet essai est particulièrement élevée avec plus d’un quart des femmes accouchant par césarienne qui présentent des saignements > 1000 mL, que les pertes sanguines soient calculées ou mesurées.

Ce que cet article nous apporte

Cette publication illustre le fait que bien qu’un essai de grande taille montre des résultats significatifs en faveur d’une intervention, leur transposition dans la pratique clinique n’est pas toujours possible. En effet, bien que les résultats de TRAAP2 montrent une diminution significative de l’HPP après césarienne après administration de TXA, les auteurs ne concluent pas sur l’utilisation en pratique courante de cette molécule compte tenu de la faible pertinence clinique de l’effet observé. Par ailleurs les effets secondaires à type de nausées et vomissements freinent également à l’utilisation préventive de ce médicament dans le contexte obstétrical.

Cette étude souligne également toute la difficulté à évaluer de manière fiable les pertes sanguines en peripartum, permettant non seulement de faire le diagnostic de l’HPP mais aussi de sa sévérité. Dans TRAAP2, les pertes sanguines sont estimées à partir des variations de taux d’hématocrite par une formule théorique utilisée depuis longtemps, notamment pour prédire les besoins transfusionnels en périopératoire, mais qui n’a jamais été validée et dont la fiabilité dans le contexte obstétrical est très discutable : en effet la grossesse se caractérise par des variations de poids et de volémie importantes, notamment en peripartum. On peut s’interroger sur une possible surestimation des pertes sanguines par cette formule. D’autant plus que cette différence significative n’est pas retrouvée lorsque les pertes sanguines sont mesurées par des méthodes gravitationnelles, évaluation considérée comme le gold standard jusqu’à présent et obtenue sans délai, à l’inverse des pertes sanguines calculées. A quelle estimation des pertes sanguines faut-il se fier dans le contexte de l’accouchement ? Cette problématique, que ce soit pour la recherche ou la pratique clinique, reste toujours d’actualité.