Source : Emmanuel Futier, Samir Jaber, Olivier Joannes-Boyau – SFAR

Dans l’hypothèse où le nombre de patients devant bénéficier d’une ventilation artificielle viendrait à excéder la disponibilité de ventilateurs disponibles dans les établissements de santé en France, la possibilité de placer plusieurs patients sur un seul et même ventilateur a récemment été évoquée. La Société Française d’Anesthésie et de Réanimation (SFAR) a été sollicitée afin de contribuer à l’élaboration de recommandations concernant les modalités d’utilisation de cette option thérapeutique dans le contexte épidémique lié au COVID-19.

La SFAR ne recommande pas cette stratégie thérapeutique dans le contexte épidémique actuel et conseille fortement aux cliniciens de ne pas tenter de partager des ventilateurs entre plusieurs patients en raison notamment du manque de données de sécurité avec les équipements actuels. Une recommandation similaire a été formulée par la Society of Critical Care Medicine (SCCM), l’American Association for Respiratory Care (AARC), l’American Society of Anesthesiologists (ASA), l’Anesthesia Patient Safety Foundation (ASPF), l’American Association of Critical-Care Nurses (AACN), et l’American College of Chest Physicians (CHEST).

La logique qui sous-tend l’utilisation d’un seul ventilateur pour prendre en charge plusieurs patients peut, à première vue, répondre à notre besoin le plus fondamental de sauvetage de patients en situation d’insuffisance respiratoire aigüe en contexte de pénurie.

Il y a certaines situations dans lesquelles cela pourrait théoriquement fonctionner – chez les patients dont les caractéristiques mécaniques du système respiratoire (compliance et résistance) sont similaires et maintenues comme telles, et pour lesquels, surtout, il existe un plan pour que des ventilateurs soient rapidement disponibles pour rendre possible une ventilation mécanique individualisée, seule stratégie permettant de prendre en charge efficacement un patient présentant un syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA).

Malheureusement, ces conditions seront rarement remplies dans le contexte de l’épidémie de COVID-19. La physiopathologie du SDRA est complexe et implique de possibles changements rapides de mécanique respiratoire en rapport avec l’évolution de la maladie et la stratégie de réanimation mise en place. Ventiler un seul patient en SDRA est une tâche délicate, tenter d’en ventiler plusieurs, compte tenu des problèmes évoqués, pourrait ainsi exposer les patients à des complications graves voire à un risque de surmortalité pour tous les patients. Enfin, placer plusieurs patients sur un seul et même ventilateur implique les limites suivantes :

  • Impossibilité de monitorage fiable, pour chaque patient, de paramètres essentiels de la ventilation mécanique d’un SDRA dont la pression de fin d’expiration positive (PEEP), la pression de plateau et la pression motrice
  • Difficulté sinon impossibilité de surveillance et de gestion individualisées des alarmes du ventilateur
  • La survenue d’une complication brutale chez l’un des patients (arrêt cardiaque, pneumothorax, …), justifiant une interruption de la ventilation, impliquerait un arrêt de la ventilation pour tous les patients et un risque d’aérosolisation du virus (donc une exposition des équipes de soin) lors du passage à une ventilation au ballon.
  • Même si tous les patients ventilés par le même ventilateur présentent des caractéristiques cliniques similaires à l’initiation de la ventilation mécanique, une dégradation de l’un d’entre eux pourrait conduire à une inhomogénéité de distribution de la ventilation entre patients et à l’administration de volumes courants trop importants (risque de volotrauma).
  • La ventilation spontanée d’un seul patient perturberait le cycle respiratoire de tous en imposant sa fréquence
  • Enfin, il existe également un risque théorique de transmission de charge virale ainsi que d’échange de volume de gaz entre les patients par effet « Pendelluft »

Si cette solution extrême de sauvetage devait, néanmoins, être retenue, que ce soit de façon transitoire ou pérenne, elle devra l’être qu’en conscience des risques évoqués précédemment et, surtout, après avoir épuisé toutes les ressources disponibles (incluant, mais ne s’y limitant pas, les ventilateurs de réanimation, ventilateurs d’anesthésie, ventilateurs de transport et ventilateurs dits de domicile). Si l’utilisation d’un respirateur peut sauver la vie d’un seul individu, son utilisation sur plusieurs patients à la fois peut entraîner l’échec du traitement pour tous.

Emmanuel Futier

Samir Jaber

Olivier Joannes-Boyau

Pour la Société Française d’Anesthésie et Réanimation